12/05/2013
30/04/2013
"ce qu'aimer veut dire" : mathieu lindon
Un jour, dans un magasin de stained glass sur Ellice Street, qui est aussi atelier d’artistes, j’ai rencontré Adina. Une jeune fille aux
cheveux noirs, derrière le comptoir, qui avait l’air de chercher quelqu’un à
qui parler. Comme personne n'était dans le magasin, je l’avais aperçue dès
mon entrée. Assez vite, je me suis retrouvée avec sa carte de visite dans la
main : "Adina Balthazar, stained
glass artist". Son prénom, me dit-elle, lui vient du Yémen, où elle est née
; en arabe, c’est le féminin de…. J’ai été un peu embarrassée par son besoin de
justification et, sans lui dire que je portais le même prénom, je me suis éloignée. Peu après, je suis sortie. En marchant, j’ai quand même regretté de n’avoir pas regardé les deux dernières
pièces du magasin. J’ai conclu que la vanité des inconnus me déplaît.
Dehors, il faisait toujours froid et
bleu foncé. Je me suis rappelée le livre Ce qu’aimer veut dire de Mathieu Lindon sur son amitié avec Michel Foucault,
que j’avais beaucoup aimé. En chassant une pensée, je tombe sur une
autre : à qui n’est-ce jamais arrivé ? Pour vérifier un souvenir, je mets
la main sur un livre et je cherche le paragraphe qui m’a touchée, qui est
d’habitude souligné. Ce que j’ai fait en rentrant. Lorsque je copie ces
lignes, je pense aux rencontres qui peuvent changer une vie… Mathieu Lindon
qui a rencontré Michel Foucault ; Foucault qui a rencontré le fils de Jérôme
Lindon. Mathieu qui écrit : « À
partir de Michel je commence à écrire, et le livre publié m’y ramène autrement.
Son intimité circule dans un petit cercle : deux ans après sa mort, il est
encore là, concrètement, en plein dans l’actualité de ma vie ». Un peu plus
loin : « J’étais le jeune homme
de l’appartement mais il n’y avait plus l’appartement ni la jeunesse. Et
pourtant l’appartement et la jeunesse allaient encore être là pour m’aider, ma
vie durant, tels des prolongements de Michel qui ne m’abandonne pas ».
Moi aussi, je pense parfois aux
rencontres qui ont changé ma vie. Moi aussi, il y a des amitiés que j’ai
perdues, et à chaque fois qu’une amitié disparaît, je me demande si un
jour je vais en faire quelque chose. Vais-je un jour d’été m’asseoir et écrire
le deuil ?
29/04/2013
étendue blanche : winnipeg lake
L’étendue blanche de neige du lac
Winnipeg m’évoque paradoxalement le jardin de mes grands-parents en été sans
que je sache pourquoi. Ce n’est pas seulement l’horizon apaisé et serein ou le
calme de la nature sauvage, et le froid n’a rien pour me faire penser aux jours d’été en Europe de l’Est. Quelque chose tient à moi. C’est
comme si cet espace vierge, intact, immaculé, m’était un roman d’apprentissage
à lui tout seul ; une page blanche sur laquelle écrire ma vie. Est dit dans Roland Barthes par Roland Barthes :
« J'aime : la salade, la cannelle, le fromage, les
piments, la pâte d'amandes, l'odeur du foin coupé (j'aimerais qu'un ‘nez’
fabriquât un tel parfum), les roses, les pivoines, la lavande, le champagne,
des positions légères en politique, Glenn Gould, la bière excessivement glacée,
les oreillers plats, le pain grillé…
Je n’aime pas : les loulous
blancs, les femmes en pantalon, les géraniums, les fraises, le clavecin, Miro,
les tautologies, les dessins animés, Arthur Rubinstein, les villas, les
après-midi, Satie, Bartok, Vivaldi, téléphoner, les chœurs d'enfants, les
concertos de Chopin….
J’aime, je n'aime pas : cela n'a aucune importance pour personne ;
cela, apparemment, n'a pas de sens. Et pourtant tout cela veut dire : mon corps n'est pas le même que le vôtre… ».
Mon adolescence sans soucis ne m’a pas préparée à
reconnaître ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Elle a retardé ma jeunesse.
L’arrivée au Canada l’a enterrée. Du moins est-ce ce que je m’imagine. Barthes
avait 60 ans quand il a publié Roland Barthes par Roland Barthes en
1975. Écrire sur soi est toujours un événement de la vie, et à moi,
aujourd’hui, dans la trentaine, cela m’est si difficile qu’un tel projet me
semble presque une aventure mythique. Pour qui a changé de pays pour vivre, manquera toujours la ligne ininterrompue de ce qu’on aime et ce
qu’on n'aime pas. Il y aura invariablement aimer et ne pas aimer avant et
après le départ.
winnipeg lake, 22 avril 2013
28/04/2013
woody allen: a documentary (2012)
Il fait jour à 6h du matin à
Winnipeg et pour la première fois cette année, j’entends le cri aigu des
goélands. Je pense à la Rivière Rouge dégelée enfin, au lac Winnipeg tout blanc, couvert non pas de neige mais de certaines de goélands. Je pense aussi à
Woody Allen du documentaire Woody Allen: a Documentary, sorti en 2012. 40 films en 40 ans de carrière. L’homme croit
dur comme fer que ça lui fait du bien de faire un film par année. Pourquoi pas.
Je me demande : qu’est-ce qu’il est en train de filmer en 2013 ?
J’ai vu que Woody Allen a parcouru
un long chemin avant d’arriver là où il est aujourd’hui. J’ai aussi vu que dans
le passé, cet homme a plus d’une fois subi l’injure et l’insulte des médias,
surtout lors du scandale avec Mia Farrow. Quelques fois, il a dû travailler et
travailler, s’accrocher à ses films pour éviter le pire. Donc, Woody Allen a
appris à compartimenter. Il devait sauver ce qu’il aimait le plus.
D’autres hommes et femmes ont dû
faire la même chose. Oui, d’autres ont mal vécu. Comme Woody Allen, à un moment
donné, ils ont peut-être appris à compartimenter leur vie. Pour sauver leur
travail, leur routine, leur confort... Pour avoir un peu de consolation par
défaut d’amour, parfois.
26/04/2013
une pensée réparatrice
La cafetière est vide. Malgré toute
la caféine que j’ai avalée, je me sens calme. Apaisée. J’ai absorbé les mauvaises
nouvelles de la matinée comme un médicament. Le malheur des autres est un
remède qui a fait ses preuves. Ça soulage de savoir qu’on n’est pas seul à
avoir mal vécu. Je suppose que ça fait le même effet chez les autres, au cas où ils y
pensent. Comme Julia Kristeva, qui répète souvent qu'elle parle de son expérience propre à travers des expériences qui nous concernent tous.
Je l’ai entendu dire récemment, lorsqu’elle présentait son dernier recueil de
textes, Pulsions du temps. Pour elle,
écouter, raconter, écrire, c’est voyager dans la mémoire pour faire revivre le temps ; le faire sauter en éclats, en pulsions, ce qui nous fait revivre. « Recommencer le
temps, se recommencer »,
dit-elle.
Voilà une question qui peut m’occuper longtemps.
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