28/11/2012

mardi


Mardi. Les nouvelles de treize heures me parlent, en vrac, de l’ouverture tant attendue d’Ikea à Winnipeg, du budget déficitaire de l’Alberta, d’une adolescente donnée disparue à Portage la Prairie, et du fait qu’un habitant de Selkirk a gagné un million avec un timbre caché à l’intérieur d’une tasse de café Tim Hortons. (Dire que c’est profondément ennuyeux de vivre à Winnipeg, j’aurais tort. Ajouter qu’hier soir, j’ai vu Rigoletto dans une mise en scène de l’Opéra du Manitoba, on se dit que des choses pas mal se passent dans la ville).

Temps froid. Très froid. La météo fait aussi partie de l’actualité. Mais même cette actualité-là, je la relativise : chaque fois que le ciel de Winnipeg est bleu clair, serein, sans nuage (comme aujourd’hui), et qu’il fait -21 degrés à 11h du matin, je me rappelle de toutes mes forces qu’en Grèce à la Toussaint et tout le mois de novembre, il fait un temps sublime. À quoi sert de lire des livres si on garde les prodiges de l’imaginaire pour le moment de la lecture seulement ? 

25/11/2012

instant


Qu’est-ce que l’instant ? Je me le demande parfois, avide de le saisir entre mes doigts et d’en laisser une trace. Instant joyeux ou mélancolique, impossible d’arrêter le temps, et donc, l’instant. Cependant, il m’arrive d’avoir recours à l’évocation pour revivre un moment empreint de nostalgie ou de joie. La contemplation ou une sorte de rêverie accueille des instants heureux de l’enfance, qui font ainsi irruption dans le présent. Telle est la force de la mémoire, ce processus enraciné dans les replis les plus intimes de la pensée. Or, en plus du souvenir, qui me transporte dans un passé dévoilé – déjà proche, déjà lointain – il existe cet acte magique qui suspend le temps : la poésie ou l’art ; ou simplement la « rencontre » d’une image qui enferme tout un univers. Voyons, par exemple, un diaporama qui restitue en quelques photos seulement une partie importante de la personnalité de l’artiste Frida Kahlo – « Soixante ans après sa mort, Frida Kahlo reste une icône de la mode ».

En somme, chaque forme d’art réalise à sa manière une éphémère traversée du temps, même si cela peut paraître contradictoire. La création capte en quelques mots ou images la fugacité du moment et le prolonge. Elle concentre en un instant l’éternité, la pérennité de l’instant.  

20/11/2012

éclats


Je pense à Marguerite Duras lorsque j’écoute une interview de 1996 avec Jacques Derrida, qui répond aux questions de Laure Adler sur la télévision, la pensée de la mort, les signatures autobiographiques de ses textes… Duras, comme Derrida, croyait aux fantômes, aux morts ; elle pensait qu’ils avaient beaucoup à nous dire, à nous apprendre. Novembre souvent gris, dont on dit qu’il est le temps du souvenir, de la remémoration, est peut-être le mois où on croise le plus des signes de l'au-delà ; la présence des disparus se fait présente, ou au moins, on a parfois l'impression.

Ceux qu’on a perdus peuvent-ils encore nous apprendre à vivre ?, demande Derrida dans cette interview. Je me demande si c’est possible d’apprendre à vivre. Vivre et le temps passe, chacun apprend à vivre, mais ce qui persiste à me surprendre c’est que plus on réalise qu’on apprend, plus on sait que cet apprentissage est incomplète.

« Ceux qui rêvent le jour savent bien des choses qu’ignorent ceux qui ne rêvent que la nuit », écrivait Edgar Poe dans Eleonora. 

17/11/2012

Proust et parade de Noël

Rapprocher les images d'un reportage que je viens de voir sur Marcel Proust - qui s'est éteint un 17 novembre en 1922 - et les images d'il y a deux heures sur l'avenue Portage à Winnipeg où des enfants et des parents étaient sortis pour regarder la parade du père Noël, voilà ce qui me paraît assez surprenant. Ce n'est pas la première fois où je m'étonne de l'écart assez impressionnant entre des faits qui se passent la même journée ici et en Europe. Est-ce encore cette question déjà familière de l'entre-deux ? Comment le vivre ? Que faire avec ce sentiment d'appartenance toute floue et imparfaite : ni ici ni là-bas, mais en mouvement ? ... Autant de questions dont les réponses ou la quête de réponses me maintiennent en alerte. 


Winnipeg, 17 nov. 2012

15/11/2012

images


Les images, voilà à quoi je veux en venir après ces jours de silence. Nous sommes toutes des personnes très occupées, car les images ne nous quittent jamais. Certains arrivent parfois à tout éteindre dans leur tête. Pas moi. Les images s’empilent dans mon cerveau à côté des nombreux couloirs que je dois emprunter pour me sortir de là. J’ouvre une porte, je marche dans le couloir et me voici dehors, devant la vitrine de la Baie, à regarder un mannequin en tenue festive. Il m’arrive quelquefois d’entrer dans le magasin, de payer une robe en laine beige : je la porterai peut-être comme preuve de ce jour-là. Mais les images avec lesquelles je suis partie ne m’ont pas encore quittée. Il y a surtout cette image des enfants qui jouaient dans la neige avec un traineau samedi matin ; la première neige à Winnipeg. Je sais bien que les images de leurs visages sont placées dans mon cerveau par-dessus quelque chose de plus fou. Et à la fin, je me retrouve avec un sentiment léger de flottement, une sorte d'angoisse, d'incertitude.

Élise Turcotte qui en 1991 écrit Le Bruit des choses vivantes doit en savoir long sur la joie de retrouver les images les plus surprenantes du quotidien. Son attention délicate au monde, à ce qui nous entoure, me rappelle que le bonheur peut se déplier à chaque instant.

Winnipeg, novembre 2012