27/02/2012

les mots

Les mots ont un grain, je le dis et je le crois ce soir. Les mots ont un grain, comme on dit le grain de la voix, le grain de la peau, bien sûr, mais aussi, au fond, comme on parle des fous, des marginaux : chacun d'entre eux est un original, une pièce unique. D'avoir été prononcés tant de fois, déformés par les lèvres ou polis par les livres, de nous avoir émus dans la beauté des œuvres ou la bouche d'autrui, ils ont acquis la densité et la profondeur d'une terre connue ou fantasmée : les mots sont faits de ma vie qui voyage. 

23/02/2012

l'éclaircie

Blanchot, dans son essai sur le « roman à thèse », explique qu’il est absurde de reprocher à une œuvre de signifier quelque chose ; mais il y a une grande différence, ajoute-t-il, entre signifier et démontrer. L’existence est toujours signifiante encore qu’elle ne prouve jamais rien. Le but de l’écrivain, c’est de donner à voir, en la recréant avec des mots : il la trahit, il l’appauvrit ou l’enrichit ; il restitue ce qu’on croyait indicible ou évident, banal ou extra-ordinaire, et à quoi on s’identifie souvent.

J’avais terminé L’Éclaircie de Philippe Sollers, et dès le début, ce roman était pour moi une métaphore de la vie illustrée à travers la peinture ; par l’amour de la peinture. Sollers écrit : « C’est en s’embrassant passionnément et longtemps qu’on sait si on est d’accord. Le long et profond baiser, voilà la peinture, voilà l’infilmable ». Et de nous entraîner dans un voyage avec Manet, il ajoute : « Libre à vous d’avancer plus loin, comme Manet s’est permis de le faire avec Titien et Picasso avec Vélazquez… ». Blanchot aurait du mal à ranger L’Éclaircie parmi les romans à thèse ; par-delà un but défini, son message semble être : allez plus loin.  

20/02/2012

créer

À la fois, me revient l’idée qu’il faudrait ne pas perdre la confiance dans la création dans ses moindres formes d’expression, ne serait-ce qu’un paragraphe ; création, avec sa part de lumière et d’ombre. Il est connu que tout travail de création engage une confrontation avec l’ombre, l’ombre portée de soi sur la page ou le tableau, la part cachée, celle qui se porte au-delà de soi, en contre-jour, et révèle ce que nous-mêmes ne savons pas de nous. En ce sens, toute œuvre est du côté de l’ombre, elle est une certaine épiphanie du sujet non encore réalisée, un avant-être de soi ignoré. C’est pourquoi il est possible de parler de création pour secouer les vies blanches.  Créer permet de revenir au commencement et construire une boucle qui ne se refermerait pas sur « du même » mais ouvrirait un point de vie et permettrait de vivre cette grâce qui est le présent. 

18/02/2012

tu es la même

Récemment, une collègue que j’ai connue à mon arrivée au Canada, m’a dit en me revoyant après plusieurs années : « Tu es la même ! ». Comment ai-je réussi à rester moi-même, à ne pas avoir la capacité de briser ce moule dans lequel je m’enroule depuis… ? J’aurais dû trouver une réponse à celle-là.
Un jour peut-être, j’arrêterai de croire que je suis la même. Et les autres le verront aussi.  Oui, il est bon parfois de ne pas croire à tout, de prétendre qu’on ne connaît pas la fin de l’histoire, de se dire qu’on ne comprend pas comment s’écrira la vie de quelqu’un ou notre propre vie, et de rêver qu’on tombe sur un visage qui existe, sans dire rien.

16/02/2012

vue citadine

Soudain, j’aperçus un bâtiment imposant tout en verre bleuté, sur lequel petit spectre, je me réfléchissais, et qui surpassait de beaucoup tous les autres édifices environnants. Il trônait au beau milieu de la rue, énorme, tel un inquiétant mégalithe ; il semblait engloutir la moitié de l’avenue de son ombre interminable. Je restai là, pétrifiée, en regardant fixement l’immense cube de saphir. Ses parois réfléchissantes semblaient se confondre avec l’azur étincelant du ciel de midi, comme s’il faisait partie des cieux, comme s’il était une sorte d’absolu. Chacune de ses vitres sonnait au vent de manière quasi-imperceptible, en émettant ce tintement qui est particulier au verre et qui paraissait se réverbérer à l’infini à partir de son intérieur démesuré. 

Il était comme mû par une respiration monstrueuse. 

11/02/2012

vivre

Je me souviens qu’il m’avait dit qu’on peut vivre avec une certaine douceur un présent tout entouré de menaces et de laideur ; je n’oublie rien de la guerre qui balaie le monde, rien de la séparation ou de la mort, parfois j’ai cette impression que l’avenir est barré, et pourtant rien ne peut effacer la tendresse et la lumière d’un paysage réel ou imaginé ; la pensée que je découvre dans un livre, comme si j’étais envahie par un sens qui se suffit à lui-même, qui n’entre dans aucune histoire, arraché à sa propre histoire, totalement désintéressé soudain.

L’après-midi, j’écoute la radio. Les informations sont sombres. On essaie de masquer les tueries en Syrie. Je reste accablée un long moment devant cet horizon indécis, chargé. Une lumière plaisante passe par la fenêtre. J’y reconnais quelque chose du calme de la campagne malgré tout, ses clochers gris et trapus. 

04/02/2012

le risque

Quand je sors du cinéma à dix-sept heures, l’air est lourd ; un grand silence dans les rues. Sur une affiche, je lis : « 173.496 Manitobains ont été diagnostiqués d’une maladie mentale. Que faire ? ». Impression de flottement ; le temps n’a plus de valeur, et pourtant dans ma tête, défilent des mots, des phrases.

Aujourd’hui, le principe de précaution est une sorte de norme. On « lutte » contre le risque. Il faut se prémunir contre les accidents climatiques, le terrorisme, les revendications sociales, les maladies… Mais que signifie risquer sa vie ? Peut-être prendre un autre type de risque : la passion, le rêve, le rire, la liberté, l’infidélité, le risque de perdre du temps, quitter la famille, être en suspens, ne pas être mort, décevoir, penser… Car le risque ne se loge pas nécessairement où l’on attend. Et l’inespéré est sans doute ce qui le définit le mieux.