30/03/2011

midnight in paris

Midnight in Paris, le dernier film de Woody Allen, sera présenté en ouverture du festival de Cannes le 11 mai. Il sortira le même jour dans les salles en France. (Libération, le 30 mars 2011)


29/03/2011

le gai savoir


Peu sont ceux qui pensent que l’amour n’est pas émerveillement et union, joie de la présence et du don. 

Je serais restée là, dans la salle de classe, à relire encore une fois cette partie du Gai savoir (1882), « Tout ce qu’on appelle amour », où Nietzsche démystifie l’illusion qu’on se fait couramment sur l’acte d’aimer. L’amour est paroxysme de l’égoïsme, dit-il, désir de possession de l’autre tel un objet dont on finit par se lasser ; en revanche, l’amitié, n’est pas aussi pervertie, corrompue, elle va au-delà, en réunissant les êtres dans un idéal désintéressé, fraternel.. Mais, certes, si on regarde de près – et on le sait en psychanalyse – et l’amour et l’amitié ont leurs parties perverties, leurs parts de lumière et d’ombre, de bonheur et de douleur. L’idée n’est pas de mesurer amour et amitié, mais plutôt d’appréhender leur face cachée ; ruses et figures.

Je pense que ce qui m’a attirée dans ce passage, lu autrefois dans un cours de philo, c’est une certaine simplicité du langage : ce vocabulaire âpre, presque cru, qui dit « égoïsme », pas « narcissisme », qui parle de « cupidité », pas de « désir », et qui me rappelle quelque chose du monde de la fiction, du monologue intérieur, de l’aveu des écrivains ou des personnages de roman. C’est une façon de reconnaître que la littérature, la philosophie et la psychanalyse ont chacune leur manière propre de penser et de mettre en mots des sentiments et des comportements humains ; qu’il y a une frontière parfois nette, autrefois poreuse entre le savoir, la théorie et la fiction. C’est grâce au langage que cela est possible ; le langage qui m’émerveille ici encore par sa force de tenir et soutenir tant de discours, de perspectives, de points de vue sans se lasser, sans céder, mais au contraire, en arrivant à se plier, à s’ouvrir, à s’étaler comme s’il poussait loin loin, les limites de ce qui est dit, pensé, éprouvé..

Voyons donc Nietzsche qui dit ceci :

"Tout ce qu'on appelle amour. - Convoitise et amour : quelle différence dans ce que nous éprouvons en entendant chacun de ces deux mots ! - et cependant, il pourrait bien s'agir de la même pulsion, sous deux dénominations différentes, la première fois calomniée du point de vue de ceux qui possèdent déjà, chez qui la pulsion s'est quelque peu apaisée et qui craignent désormais pour leur « avoir » ;l'autre fois du point de vue de celui qui est insatisfait et assoiffé, et donc glorifiée sous la forme du « bien ». Notre amour du prochain - n'est-il pas une aspiration à une nouvelle possession? Et de même notre amour du savoir, de la vérité et de manière générale toute l'aspiration à des nouveautés? Nous nous lassons progressivement de l'ancien, de ce dont nous nous sommes déjà assuré la possession et recommençons à tendre les mains ; même le plus beau des paysages, une fois que l'on y a vécu trois mois, n'est plus certain de notre amour, et n'importe quelle côte lointaine excite notre convoitise : la possession rétrécit le plus souvent l'objet possédé. Le plaisir que nous prenons à nous-mêmes veut tellement se maintenir qu'il ne cesse de métamorphoser quelque chose de nouveau en nous-mêmes, - c'est cela même que l'on appelle posséder. Se lasser d'une chose que l'on possède, cela veut dire : se lasser de soi-même. (On peut également souffrir de la surabondance, - le désir de rejeter, de distribuer peut aussi s'attribuer la désignation honorifique d'« amour ».) Lorsque nous voyons quelqu'un souffrir, nous saisissons volontiers l'occasion qui s'offre alors de prendre possession de lui; c'est ce que fait par exemple le bienfaiteur compatissant, et lui aussi appelle « amour » le désir de possession nouvelle qui s'est éveillé en lui, et y prend plaisir comme à l'invitation à une conquête nouvelle. Mais c'est l'amour des sexes qui trahit le plus clairement sa nature d'aspiration à la possession : l'amoureux veut la possession exclusive et inconditionnée de la personne qu'il désire avec ardeur, il veut exercer un pouvoir inconditionné sur son âme comme sur son corps, il veut être l'unique objet de son amour et habiter et gouverner l'âme de l'autre comme ce qu'il y a de plus haut et de plus désirable. Si l'on prête attention au fait que cela ne veut rien dire d'autre que soustraire à tout le monde un bien, un bonheur et une jouissance de grande valeur : si l'on considère que l'amoureux vise à appauvrir et à spolier tous les autres concurrents et aimerait devenir le dragon de son propre trésor, le plus impitoyable et le plus égoïste de tous les « conquérants » et de tous les prédateurs : si l'on considère enfin que le reste du monde tout entier paraît à l'amoureux indifférent, pâle, dénué de valeur, et qu'il est prêt à faire tous les sacrifices, à renverser tout ordre, à faire passer tout intérêt au second plan : on ne manquera pas de s'étonner que cette convoitise et cette injustice sauvages de l'amour des sexes aient été glorifiées et divinisées comme elles l'ont été à toutes les époques, au point que l'on ait tiré de cet amour le concept d'amour entendu comme le contraire de l'égoïsme alors qu'il est peut-être justement l'expression la plus naïve de l'égoïsme. Ce sont manifestement les non-possédants assoiffés de désir qui ont ici fixé l'usage linguistique, - ils ont toujours été en trop grand nombre. Ceux à qui possession et satisfaction avaient été accordées en abondance en ce domaine ont bien laissé échapper de temps en temps un mot au sujet du « démon enragé », tel le plus aimable et le plus aimé de tous les Athéniens, Sophocle : mais Éros s'est toujours moqué de ces médisants, - ils furent toujours précisément les êtres qu'il chérit le plus. - Il y a bien çà et là sur terre une espèce de prolongement de l'amour dans lequel cette aspiration avide qu'éprouvent deux personnes l'une pour l'autre fait place à un désir et à une convoitise nouvelle, à une soif supérieure et commune d'idéal qui les dépasse : mais qui connaît cet amour? Qui l'a vécu? Son véritable nom est amitié" Gai savoir, § 14

28/03/2011

oda jaune, peintre


La peinture d’Oda Jaune - née à Sofia en 1979 et qui vit à Paris depuis 2008 - par son jeu de lumières et ses textures, exprime un raffinement sensuel saisissant. S’y révèle un aspect de nous-mêmes qui nous demeure nécessairement inaccessible : notre chair. L’artiste nous confronte à cette part cachée du corps, qui fascine et repousse en même temps, et semble nous dire que là aussi se trouve l’humain. Sa vision double, tiraillante, entre le dedans et le dehors, entre l’âme et le corps, est déstabilisante. Oda Jaune nous confronte à l'expérience singulière que produit la rencontre – non pas avec le visage d’autrui, au sens où l’entend Levinas, mais avec le corps organique. Il s’agit chez elle du revers du corps, que l’humain ne prend guère en considération que lorsqu’il est confronté à la maladie, à la déchéance et à la mort. Mais au contraire d’une esthétique du dégoût, Oda Jaune enveloppe la monstruosité d’une curieuse tendresse et,  en nous donnant à voir nos limites, nous met à l’épreuve. 


27/03/2011

daniel taylor: countertenor

I would have taken his distinctive voice for that of a woman. Daniel Taylor is one of the most sought-after countertenors in the world. He has made more than 80 recordings with various orchestras and was greeted with critical praise. His North American debut came in Handel’s Giulio Cesare at the New York Metropolitan Opera.


With the Tafelmusik Baroque Orchestra in Toronto, Daniel Taylor offered an evening of glorious music singing J.S. Bach’s Cantata 170, for the Sixth Sunday after Trinity and arias from Antonio Vivaldi: Bajazet and Barbaro traditor.




26/03/2011

le docteur Miracle


At the Royal Conservatory of Music in Toronto there are only a few performances in French and when this happens, it looks like a special occasion. Last night, the public acclaimed George Bizet’s operetta Le docteur Miracle (1856) with a refreshing cast of young singers: Jennifer Taverner (Laurette), Maciej Bujnowicz (Podestat), Danielle MacMillan (Véronique), Zachary Finkelstein (Silvio, Pasquin, Docteur), under the baguette of maestro Uri Mayer conducting the Glenn Gould School's Orchestra. The set and costume design were magnificent, all to make you believe in the miracle of music, of singing and acting.

Bizet composed Le docteur Miracle at age 18 to enter a competition organized by Jacques Offenbach for the promotion of the theatre des Bouffes-Parisiens.


Synopsis
: 


In 1856 Jacques Offenbach announced a competition for an opéra comique, the winning entry of which would be played at his theatre, the Bouffes-Parisiens. The libretto, by Léon Battu and Ludovic Halévy, is based on Sheridan's play Saint Patrick's Day. Settings by Bizet and Charles Lecocq were awarded a shared first prize and the two works were staged alternately in April 1857 with the same cast in both, each work receiving 11 performances. Bizet's opera was not revived until 1951.


A 'podestat' (a mayor or magistrate) wishes to protect his daughter Laurette from the attentions of a soldier, Silvio. Disguised as a servant, Silvio makes an omelette for the family. He is discovered and sent away, but leaves a message that the omelette was poisoned and that only Dr. Miracle can cure them. Draped in black and speaking Latin, the doctor extracts the promise of Laurette's hand in exchange for the cure. Laurette agrees to the sacrifice, upon which the doctor reveals himself as Silvio in disguise.

24/03/2011

100 ans de Gallimard

..magnifique documentaire sur l'histoire de la Maison Gallimard, réalisé par William Karel : Gallimard, le roi lire


Témoignages des écrivains sur la rencontre avec Gallimard. 

23/03/2011

elizabeth taylor est morte

..L'actrice anglo-américaine Elizabeth Taylor, l'une des dernières grandes légendes d'Hollywood, est décédée à l'âge de 79 ans d'une insuffisance cardiaque, a annoncé son agent dans un communiqué mercredi 23 mars.
(Lire l'article du Monde, 23 mars 2011)


Bande-annonce de Who's Afraid of Virginia Woolf? (1966)




A tribute by Paul Newman




Elizabeth Taylor : 1932-2011 (The New York Times - Movies)

21/03/2011

21 mars


Au Collège de France, jusqu’à la fin mars, Antoine Compagnon continue son cours « 1966 : annus mirabilis ». Or, je me demande s’il est possible de penser un cours sur une journée : disons, le 21 mars. Quelle singularité donner à cette journée dans l’histoire de l’humanité et dans mon histoire propre ? Et si je devais collectionner des mots pour dire cette journée au fil des différentes années, quels seront-ils ? Pour Compagnon, l’an 1966 est unique, prodigieux pour la culture de la France du XXe siècle ; le 21 mars – sans préciser de quelle année – est plus de cinq mille fois miraculeux pour des milliers de gens sur cette planète qui, ce jour J, se souviennent naissances, anniversaires, décès, catastrophes, équinoxes, pertes, retournements.. Jusqu’à aujourd’hui, je ne savais que wikipédia réserve une entrée à 21 mars : « le 80 jour du calendrier grégorien ; généralement le premier jour du mois de germinal dans le calendrier républicain français, officiellement dénommé jour de la primevère. C’est la dernière date possible pour l’équinoxe de mars, entre le 19 et 21 mars (prochaine occurrence en 2102) ».

Or, s’il s’agit pour moi simplement de penser cette journée, ce serait d’abord l’imaginer comme jour d’anniversaire, donc le jour 1, ce jour où se renouvelle à chaque fois le 21 mars, ma naissance. Ce renouvellement, tel le réveil de la nature au printemps, me signifie aussi qu’il y a urgence à faire acte de présence, à être là pour l'accueillir, et si je peux, à retenir sa trace. Et il fait bon de s’arrêter un peu pour célébrer des souvenirs qui reviennent, des voix, visages proches et lointains, mots accrochés à des émotions, villes, rues, cadeaux, tout ce qui me lie à ma condition de femme, ce nœud d’angoisses et de rappels-appels, comme dirait Daniel Sibony, autant de questions sans réponse qui me tiennent en vie et donnent du sens à mon existence.

Le mot « anniversaire » contient quelque chose de l’ann-us mirabilis de notre naissance, et tout 21 mars ajoute de nouvelles couleurs, des nuances fraîches à la promesse qui est la vie à venir. Entre la clôture et l’ouverture d’un cycle neuf qui tourne toute une année – du 21 mars au 21 mars –, j’aime croire que l’anniversaire convie à libérer l’effervescence de la joie et de l’imaginaire pour en faire du rêve, de la beauté, du rire et de la fête. Imaginons donc.. 

16/03/2011

e-books

Writers' corner: Margaret Atwood on e-books.
An article on today's Globe and Mail


"When Margaret Atwood opened the annual Tools of Change for Publishing conference in New York last month, it felt like something of a coup for us publishers. At a moment when our business is being infiltrated by digital “experts” and “innovators,” whose interest in (and knowledge of) regular old book publishing can be rather patchy and slightly suspicious, here was a real writer giving the keynote". ...

14/03/2011

voyage


Après-demain, je pars en voyage, et comme à chaque fois que je quitte ma routine, je regarde la vanité de ce qui fait mon quotidien, mes habitudes et ce qui a au fond si peu de poids. Le voyage me délivre de quelque chose : les obligations, les courriels, les appels, les courses, les horaires respectés, tout ce qui fait que je suis moi, tout ce qui me donne une identité disparaît soudain. J’abandonne le « je suis occupée » ridicule et m’abandonne au départ ; je deviens inessentielle, libre.

Quand je prends l’avion, le voyage me fait décoller de moi-même, il bouleverse ma gravité ; du coup, je suis légère. Dans un premier temps, je ne peux m’empêcher de regarder avec compassion celle que je suis l’année entière ; je contemple avec tristesse la personne qui croit dans la nécessité de lutter, de se battre pour des choses vaines. Le voyage fait s’écrouler mon monde, tout ce château de cartes que je prends au jour le jour pour la raison de l’existence. Juste avant de passer la porte de sécurité, j’ai honte de m’être accrochée à des bêtises, d’avoir pleuré sur des riens, d’avoir cru à des complots du sort et de m’être adonnée à des méchancetés..  pour survivre. Il me semble que partir en voyage c’est comme envisager un peu la mort, l’accidentel, et être prêt à accepter que nos vies sont essentiellement simples ; que nous affairer à les meubler de toutes sortes de meubles tient du transitoire, d’une attachante vanité. Entre le voyage et la mort, il y a quelque chose de poignant : l’accidentel que nous tentons de repousser sous une montagne de choses à faire.

C’est quand je suis ailleurs, en voyage, que je croise l’exaltation d’être une autre, de ne plus être moi. Il y a aussi de ces moments où il m’arrive de ne pas me reconnaître, de me surprendre, de m’aimer. Si avant de partir, j’ai un nœud d’angoisse jusqu'aux larmes, dans le taxi ou dans la voiture, je me retrouve telle que je ne me suis pas connue et je suis joyeuse de tout sacrifier pour un jour ou une semaine de liberté, d’insouciance.

Pourtant, à ce voyage, je vais penser deux fois. Les catastrophes d’une partie du monde me serrent le cœur et rendent encore plus vains mes soucis, mes envies de partir..

12/03/2011

mordecai richler

The documentary profile on the Canadian writer Mordecai Richler, The Last of the Wild Jews, by Montreal filmmaker and journalist Francine Pelletier, presented tonight on Bravo TV channel, gives interesting insights on Richler the man and the author. The movie places him in the context of a particular North American Jewish identity, one that emerged from the immigrant ghettos of Montreal, New York and Chicago in the 1930s and 40s and burst on the literary main stage in the 1950s and 60, leaving a unique mark all through the 20th century and up until now. Mordecai Richler, Saul Bellow, Norman Mailer and Philip Roth belong to that generation.

Nice to see Mordecai's Montreal in the 40s, 50s and 70s, and measure the flight of time: mentalities, vibrant cultural gatherings, music, people and places. 



11/03/2011

la fugitive


Certes j’ignorais la sensibilité particulière des étudiants à la lecture d’un fragment d’Albertine disparue de Proust. Les voir s’interroger sur la sincérité d’Albertine quand elle envoie la lettre de rupture au narrateur, c'était touchant. Une fille d’habitude timide me demandait pourquoi choisir le renoncement ; qu’est-ce qu’il arrive après ? Il n’y avait qu’un seul du groupe qui avait lu Albertine disparue en entier. Les autres auraient aimé savoir si « la fugitive » reviendrait vivre chez le narrateur. Soudain, j’ai eu la révélation troublante que relire Proust, c’est d’abord passer par la vie, revisiter des expériences vécues, revoir des inquiétudes tellement humaines, universelles. La lettre d’Albertine a pu parler à chacun d’une manière ou d’une autre et a donné l’occasion d’une vivace discussion ; un peu comme si on disait que cela arrivait « quand on s’y attendait le moins ».

Voyons donc cette lettre ; elle sonne ainsi :

« Mon ami, pardonnez-moi de ne pas avoir osé de vous dire de vive voix les quelques mots qui vont suivre, mais je suis si lâche, j’ai toujours eu si peur devant vous, que, même en me forçant, je n’ai pas eu le courage de le faire. Voici ce que j’aurais dû vous dire : Entre nous, la vie est devenue impossible, vous avez d’ailleurs vu par votre algarade de l’autre soir qu’il y avait quelque chose de changé dans nos rapports. Ce qui a pu s’arranger cette nuit-là deviendrait irréparable  dans quelques jours. Il vaut donc mieux, puisque nous avons eu la chance de nous réconcilier, nous quitter bons amis ; c’est pourquoi, mon chéri, je vous envoie ce mot, et je vous prie d’être assez bon pour me pardonner si je vais vous faire un peu de chagrin, en pensant à l’immense que j’aurai. Mon cher grand, je ne veux pas devenir votre ennemie, il me sera déjà assez dur de vous devenir peu à peu, et bien vite, indifférente ; aussi, ma décision étant irrévocable, avant de vous faire remettre cette lettre par Françoise, je lui aurai demandé les malles. Adieu, je vous laisse le meilleur de moi-même. Albertine ».

Quelle frontière de la vie à la fiction ? L’amour, la douleur ou encore, on se demande si Albertine est en train de frapper un coup. Croit-elle vraiment à ce qu'elle vient d'écrire ? Peu importe ; ici, c'est la littérature - le récit, le style, la voix, le ton - qui compte. 

Ce matin dans le séminaire, j’ai ressenti l’écart inouï qu’il peut y avoir entre cette lassitude qui s’installe parfois devant des textes abstraits, cryptés – disons un poème de Mallarmé – et ce furieux besoin de savoir plus sur l’amour, la séparation ; la vie tout court, et la littérature, implicitement. 
Allez, on continue..

10/03/2011

le boléro

Je serais encore restée là sous la pluie qui tombait de plus belle sur mon parapluie à imaginer le tam-tam du Boléro de Ravel tel que le décrit Le Clézio à la fin de Ritournelle de la faim :

« Les dernières mesures du Boléro sont tendues, violentes, presque insupportables. Cela monte, emplit la salle, maintenant le public tout entier est debout, regarde la scène où les danseurs tourbillonnent, accélèrent leur mouvement. Des gens crient, leurs voix sont couvertes par les coups de tam-tam. Isa Rubinstein, les danseurs sont des pantins, emportés par la folie. Les flûtes, les clarinettes, les cors, les trompettes, les saxos, les violons, les tambours, les cymbales, les timbales, tous sont ployés, tendus à se rompre, à s’étrangler, à briser leurs cordes et leurs voix, à briser l’égoïste silence du monde.

(…) Le Boléro n’est pas une pièce musicale comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l’histoire d’une colère, d’une faim ». (p. 206)

La première image qui m’est apparue est celle de la colère rythmée que l’orchestre faisait monter aux cieux, un peu comme ce matin le ciel envoyait de la colère par une pluie incessante. Pour Le Clézio, le Boléro est une ouverture vers autre chose : une musique qui « avait changé la vie » de sa mère et d’une génération après la Seconde guerre ; c’est le cri de la violence après lequel le silence devient possible même si pour les survivants étourdis, il est terrible. Que j’aie profité de la pluie pour rêvasser et être ailleurs, c’est ma petite ruse quand la routine écrase. Que la pluie torrentielle m’apparaisse ennuyante, je n'y peux rien. Mais le point troublant, retrospectivement, c’est que la littérature, sans conteste, soutient ; elle est le secours le plus complexe, le plus excitant, le plus en relief de toutes les formes d’art. Quand on est dans un texte, la pluie la plus agressive existe à peine ; elle est musique. La pensée est à méditer : pour prendre du répit du train-train quotidien, du tam-tam d’une heure, on n’est jamais mieux servi que par une bonne page à laquelle nul n’ira nous identifier.



06/03/2011

"the land of green plums"


She is a small woman in black with short-cut hair, pale face, thin lips outlined in dark red. Looking at her picture, she seems at once vulnerable and defiant. Herta Müller was awarded the Nobel Prize (2009) as a German writer born in Romania. Her prize raised eyebrows both in Germany and in her native Banat, a province in Transylvania where almost everyone spoke German. Literary critics found that she was not German enough, for her lyrical language and tendency to invent words puzzling the reader over what they meant. Her novels reveal life behind the Iron Curtain of Ceausescu’s Romanian dictatorship in a direct horrifying style. Romanians never really talked about her as one of their own.

I have just finished The Land of Green Plums (1994), one of her most accessible books in English translation. The narrative is painfully realistic, filled with daily humiliations, deprivations and an overwhelming sense of fear and menace shared by all. The book follows a group of university friends of Müller – the “Aktionsgruppe Banat”, all of them writers – who manage to resist the communist regime’s urge to living in a state-controlled world of spies. A sense of outrage, endured in silence, never mentioned, is at the core of Herta Müller’s writing. In The Land of Green Plums, a few of the group try to escape to the West and are killed in the attempt. Müller herself succeeded in fleeing Romania in 1987. Since then, she hasn’t stop writing novels, poetry and essays. Words never stopped calling her. Saved by a painful memory, the writer leaves us thinking about the strange distance between childhood and youth under dictatorship and the magnificent power of writing. “When I write, I clutch at the love of words”, she says to state the saving grace of living in words, her love of the spoken language and her incessant efforts to encompass in narratives the horrors that life presented. 

04/03/2011

l'aventure d'être soi

Une oeuvre et une vie indissociables : de Beauvoir et Sartre.
À l'anniversaire de vingt-cinq ans de la mort de Simone de Beauvoir (1908-1986), Le Monde publie un hors-série qui lui est consacré. 

02/03/2011

une journée réussie


Il y a le temps de « grands » projets et celui des « petits riens ». Mais, entre les deux, existe-t-il un juste milieu ? Oui, nous répond Sénèque : la journée réussie qu’il a érigée en un enjeu privilégié. « Vivre sa journée à l’image de sa vie » est la devise de sa philosophie. Encore faut-il s’accorder sur ce que c’est une journée réussie.

Je cherche, je pense ; je ne suis pas la seule à m’attacher aux petits plaisirs, à me replier sur la microjouissance plutôt que sur la grande vie que j’ai beau essayer de déchiffrer. Un projet grandiose est hasardeux, mystérieux, c’est peut-être la raison pour laquelle, on se contente délicieusement de célébrer la sensation minuscule, la joie d’un instant, au risque de tarder à s’approcher d’une « vie réussie » ou de passer notre existence à ramasser des miettes. Et pourtant, entre la tour de Babel de la vie réussie et la contrée du bon moment, une unité de temps intermédiaire existe : c’est la journée. Plus réelle que les vastes bilans, la journée est le premier pas dans un cheminement tissé d’espoir. La traverser sans faillir, tracer une ligne sans trop de zigzags entre le moment du réveil et le coucher, ne pas perdre le cap, mais rester ouvert à l’imprévu, à l’inconnu hasard, tenter de surmonter les difficultés tout en profitant de ce qui  est offert ici et maintenant, ce paquet pourrait être surprenant et amener à espérer la réussite d’une semaine ; et peut-être plus encore : oser imager une vie un peu réussie au-delà du jour le jour. À grande échelle, on pourrait dire que le cosmos fait de même : il bouge, prend du répit ou entre dans de grands mouvements d’éclipse. Ou encore, pensons à la physiologie qui brise la routine en nous inclinant au sommeil. En reliant notre corps au cosmos, on voit qu’il y a une succession, une cadence, des rituels et des repères qui ont lieu et que nous sommes censés intégrer. On dit : « c’est l’ordre de la nature ».  Autrement, la société, s’empare de la journée pour la modeler en heures de travail, de pause-café, de vacances, journal télévisé, journaux, dîner…

Et la philosophie, quel rôle en tout cela ? Je devrais peut-être ajuster : et la psy, quel art de vivre nous conduit-elle à déterrer ? Des penseurs, des psys, des écrivains nous font part des méthodes pour ne pas nous endormir mécontents et frustrés..  Moi, j’aurais envie de lire un jour comment Canadiens, premiers et modernes, ont-ils rêvé la journée idéale ?