25/04/2010

amour, amitié


L’amitié, l’amour, tout le monde en a fait l’expérience. Si on tente de comprendre l’amitié, cela veut dire qu’il y a une difficulté devant la réalité, qu’on se sent coincé, qu’on a besoin de recul, d’un temps de réflexion. Parler d’amitié serait aussi prendre de la distance, respirer, se poser et poser en ordre ses idées.

L’autre jour, quelqu’un me parlait de la représentation littéraire de l’amour qui devient amitié sincère. Mais un tel renversement est-il vraisemblable ? Songer à ces sujets voudrait bien dire qu’on est en dehors, hors-sujet, et qu’on a un regard un peu de loin. Je ne sais pas en quelle mesure j’ai cette distance. Pourtant, me revient cette phrase de Proust où il parle d’amitié comme d’un faux amour. Proust est du côté de l’amour, il se méfie de l’amitié qui lui apparaît comme une forme de faux-semblant, des convenances. Deleuze est sensible aussi à cette idée et la développe dans son Proust et les signes : l’amour et l’art sont au coeur de sa lecture de la Recherche en tant que voies singulières qui font palper quelque chose de la vérité, de l’authentique en ce qu’il a de possible, de partageable.  Ainsi, je me demande jusqu’où l’amour et l’amitié font bon ménage, comment l’un peut devenir  l’autre, comment cela se vit.

Le Jardin du Luxembourg

Il est unique à chaque fois d’observer comment naît et se termine un amour. Sur le coup, on oublie que dans la rencontre même, il y a déjà l’ombre de la fin. Daniel Sibony l’écrit quelque part. Ces premiers moments de joie, d’extase, seront impossibles si on gardait sans cesse le sentiment de la fatalité. Et c’est bon de se laisser aller, de perdre la tête, d’ouvrir le coeur pour accueillir cet événement de croisement de l’autre sous ses multiples formes : une autre personne, un univers autre, l’autre de nous-mêmes, le revers de la linéarité de notre existence etc. Ce sont des jours où on vit, où on existe et on est simplement dans le bonheur. Vient après, comme le dit R. Enthoven dans un texte bref sur le bonheur, cet instant de la réflexion, l’appel de/à la pensée où on cherche à donner du sens au bonheur ou à sa perte . Or, c’est alors qu’on est en dehors, et à travers la pensée, on marque une coupure, on prend un appui. Le paradoxe est vrai, troublant : réaliser que la pensée naît plutôt quand on fait un pas “à l’exterieur”, quand on regarde l’amour et le bonheur comme si ce n’était pas nous, comme si ces sentiments, ces faits ne nous appartenaient plus.

Autrement, c’est assez vrai aussi : les grands bonheurs ne donnent pas toujours de grandes pensées. Peut-être donnent-ils autre chose : ils existent, ils deviennent…
Et alors, les grands amours, quel est leur devenir ?

19/04/2010

la ville


J’aime les matinées fraîches de printemps quand dans un Starbucks, je me fais du temps pour feuilleter le Globe and Mail ou lire. Sur la première page du journal, grande photo du volcan islandais et une statistique des aéroports qui continuent d’être fermés en Europe. Dès l’aube aujourd’hui, en plus, des vols canadiens annulés en direction de l’est, des Maritimes. Le nuage de cendres se dirige vers le continent américain. Voilà comment la force de la nature remet l’humanité à sa place, elle boulverse les habitudes, les vacances, les gestes qu’on prend pour aquis. Elle fait penser au temps, au temps qu’il fait, au temps qu’il faut… Vitesse ou lenteur ? Agir ou réagir ? Entre actions, contradictions et réactions de toutes sortes, comment faire pour prendre son temps, se poser, respirer.. se reposer si on peut…

Le dernier essai de Régine Robin, Mégapolis (Stock, 2009) me plaît. Cette femme amoureuse de la grande ville m’apprend à regarder la mégapole avec les yeux du flâneur, me fait goûter la déambulation, la promenade lente dans des ruelles inconnues, dans des venelles. Je la suis dans ses périples d’un bout à l’autre de la terre : de New York, à Los Angeles, de Tokyo à Londres et Berlin, et je découvre des villes lisses, dynamiques, rhizomatiques, des espaces vibrantes, poétiques, accueillantes ou fermées, détestées par la norme, aimées pour leur singularité. C’est la voix singulière de Robin qui séduit, son regard subjectif, la ville qui l’habite et qu’elle trasmet par-delà le simple voyage, à travers des lectures, des films ou des rencontres avec des écrivains, artistes, des personnes intéressantes. Ses balades urbaines sont aussi des voyages entre imaginaire, littérature et cinéma. C’est en pensant à elle, à sa poétique, que je tente de regarder Toronto autrement. Je pourrais même arriver à aimer cette ville, à l’approvoiser, à lui trouver son étrangeté familière. Alors, je comprendais, je crois, ces mots de Proust pour qui, le “vrai voyage de découverte n’est pas nécessairement chercher des nouveaux paysages, mais avoir des yeux neufs”. 

Chloe (2009), le film de Atom Egoyan se passe à Toronto. La ville apparaît en pleine lumière, sans dissimulation, on reconnaît des rues, des restaurants, Allan Gardens, le ROM, le Conservatoire de Musique, le Yorkville. Et c’est bon d’éprouver ce sentiment de familiarité, de se dire : “c’est où ? j’ai reconnu…”. Pour ce qui est de l’histoire, il s’agit d’une affaire urbaine, d’un milieu aisé : la femme médecin d’un professeur des universités paie une prostituée de luxe pour vérifier la fidelité. La trame se déplie et on reconnaît Egoyan dans les surprises de la séduction, dans les imbrications lesbiennes de la passion, dans la tension psychologique, mais aussi dans la fin ouverte, qui joue sur l’ambiguité, sur l’entre-deux. Des funérailles ou la fête de graduation du fils qui finit ses études ? Pour un instant, on se dit que les limousines, les invités à quatre épingles… pourraient être là pour une occasion ou l’autre.

Survol de la ville, balade aérienne, le documentaire de Frederick Wiseman, La danse. Le Ballet de l’Opéra de Paris me fait encore rêver des toits de Paris. Depuis Le vol du ballon rouge, je n’avais plus vu de si belles prises d’avion du panorama de Paris dans l’alternance de la lumière et de l’ombre, à l’aube et au crépuscule. Paris doré en été, Paris endormi sous une fine couche de neige ne cesse de déployer son mystère, son aura attachante. J’ai aimé ce film qui m’a fait remonter le temps de mon enfance à l’époque où moi-même, j’avais commencé à prendre des leçons de ballet. Pour plus de deux heures au long du film, je fus présente, curieuse, attentive aux moindres gestes et mouvements des danceurs. Proche et distante, sur les ailes des images, des scènes, j’ai retrouvé quelque chose de la perseverance du travail, de la rigueur de la pratique, j’ai eu un sens des limites du corps et de l’esprit. Et surtout, je fus consciente de l’importance de ce cheminement de vie, de performance, de devenir-artiste.

Et qui ne saurait que toutes ces choses se passent et passent dans l’oeuvre d’art ; elles sont possibles dans les villes, les grandes .. 

18/04/2010

le temps...


C’est le temps du temps qui passe trop vite : “je n’ai pas eu le temps de finir…”, “je n’ai pas vu la semaine passer”, “elle est où, cette journée ?”.

J’ai l’impression que des gens se soient entendus pour faire passer la ritournelle du temps, du temps qui passe : étudiants, pour qui les heures s’écoulent trop vite en cette période d’examens, collègues noyés dans la correction d’essais, amis qui rêvent d’avoir le temps. Et voici comment dans ce point vibrant et tellement frêle, des gens se rencontrent et, à la fois, rencontrent des sujets de conversation. Que cela prenne la forme de : “je suis pressé, je dois filer !” ou bien “quelle magnifique journée !”, l’aura du temps se fait présente quelque part, fil invisible qui unit des espaces affectifs ou géographiques. Entendre parler du temps me met à l’aise. Serait-ce une sorte de consolation, un drôle de sentiment de familiarité ? Quelqu’un d’autre pense au temps, et ce temps passe et se pense. Je ne suis pas seule à traverser les heures, à affronter les minutes, à être touchée par la lumière du jour. Une “communauté inavouable”, inavouée, dont parle Barthes existe donc.

Dans “la grande librairie”, émission sur France 5, cette semaine, on parle de la psychanalyse, on la remet en question plutôt. Des psys et des sceptiques font table ronde pour débattre : la sexualité régit-elle le psychisme ? Le complexe d’Oedipe est-il universel ? L’inconscient existe-t-il ? Sur le plateau, Michel Onfray, par le biais de son nouveau livre, Le crépuscule d’une idole, critique Freud, voit la psychanalyse en tant que “fabulation freudienne”, une légende. Mais il se trouve qu’il est assez mal pris devant Alain de Mijolla, auteur de Freud et la France (1885-1945), qui rappelle et conclut ainsi le débat, que depuis cent ans, on n’arrête pas de parler de Freud, de la psy et de sa crise et ce n’est pas “une légende”. Malgré tout, ce qui est intéressant c’est que la figure historique de Freud traverse les décennies, elle donne à penser, elle fait parler. La psychanalyse défie le temps, elle existe bel et bien hors-temps, vivante. Ainsi, la question du réalisateur : “et votre livre monsieur Onfray, fera-t-il son temps ? “ n’est pas encore certaine de trouver sa réponse...

Dans la rue, je viens de croiser un ami que j’ai perdu de vue et qui me fait la remarque : “You don’t look like an academic. You look like an eighteen-year-old”. Peut-être, je racontais “des légendes”. Entre sourire et surprise, histoire de temps qui passe, qui laisse des traces, qui change et fait changer. C’est drôle, je me demande ce que c’est qu’avoir l’air d’un “academic”. Et la part du temps la dedans ?