31/01/2011

l'appel de la nature : tom benner


L’exposition de Tom Benner, L’appel de la nature, jusqu’au 13 février à la Galerie d’art Beaverbrook de Fredericton au Nouveau-Brunswick, n’a rien d’abstrait ou de minimaliste. Par des œuvres sculpturales à grande échelle représentant des morses ou des baleines de taille naturelle faites en cuir, des ânes en fibres de verre au cœur de riches prairies, des oiseaux en bois, l’artiste donne à penser le rapport de l’être humain à la nature. L’espace de l’exposition saisit par un effet d’inquiétante étrangeté où se mêlent attirance et frayeur : le visiteur s’approche et se retire devant l’immensité des animaux et le décor statique et mouvementé, lorsque sans doute dans sa tête s'éveillent des questions sur l’art canadien. Comment cet art contemporain explore-t-il l’environnement, l’histoire, le territoire ? Tom Bennet est originaire de London, Ontario, et depuis les années 70, il expose dans des galeries canadiennes et aux États-Unis. Son intérêt pour la nature des différentes provinces et pour le vécu des peuples autochtones de l’Amérique du Nord est apprécié et accueilli parmi les connaisseurs.


Beaverbrook Art Gallery

Dans son installation L’appel de la nature : appel donc, et rappel de ce qui est vivant – la présence de la mort est imminente. Un mur de l’espace est occupé par un projet intitulé Shrines. C’est fait pour la mémoire des animaux : une tortue, un morse, un poisson, a mockingbird… Des pierres, des feuilles et  la petite épitaphe en écriture fine à la main, composent l’autel en souvenir de l’animal perdu. Le silence et l’attention flottante du visiteur raniment quelque peu cet être disparu. Tel un message secret, un code à déchiffrer, l’artiste soulève des questions plus graves sur la préservation de l’habitat naturel des animaux, sur la perpétuation des espèces et nos soucis pour l’existence des bêtes, des poissons, des oiseaux.

Cet art qu’on dirait brut est touchant car à sa manière, il donne à penser en toute simplicité l’environnement qui nous "entoure" sans qu’on le voie, surtout si on habite de grands centres urbains. Et il y a toujours quelque chose, autre chose, au-delà du downtown des métropoles : la nature qui manque à certains et que d’aucuns recherchent avidement pour la plaisance. Tom Benner dans son projet fait tomber des clichés : il nous montre que la nature a aussi un côté sauvage, effrayant où la mort menace et la vie lutte pour se perpétuer.

Voici une exposition, une aventure dans la campagne, une invitation à découvrir un artiste jeune du jeune continent américain, qui travaille sans le poids du passé ou d’une histoire ancestrale. Il semble nous conduire dans un ici et maintenant que nous ne sommes pas toujours prêts à regarder. Le Canada c’est aussi cela : des espaces vastes, des horizons lointains, de grands animaux, du ciel bleu et de la neige, neige.. Par-delà la diversité des villes où se mêlent des populations venues de tous les coins du monde, il y a d’abord la terre, le terroir et l’autochtone qui les accueillent. Tom Bennet n’a pas tort de nous le faire voir.


"The Call of the Wild" by Tom Benner

25/01/2011

"l'autre chose" de Mallarmé

Mallarmé confie qu’il a « toujours rêvé et tenté autre chose ». Quoi ? « … c’est difficile à dire : un livre qui soit un livre, architectural et prémédité, et non un recueil des inspirations de hazard, fusent-elles merveilleuses.. J’irai plus loin, je dirai : le Livre persuadé qu’au fond il n’y en a qu’un, tenté à son insu par quiconque a écrit, même les Génies » (Correspondance complète, p. 587-586). L’aveu du poète a un double effet de chic et de cliché. Il donne à croire que l’œuvre faite ou en train de se faire n’est rien au regard de l’Œuvre à faire. Écrire s’accomplit donc par renoncement à quelque grand Texte impossible, et le poème ne surgit plus d’une combinaison de règles d’écriture et de génie créateur ; il est la marque inscrite, c’est « un moment » d’un processus qui passe par lui sans s’y arrêter, qui tente d’aller « plus loin ».

Aller « plus loin » par où ? Jusqu’où ?
Arrêtons-nous un instant à la réflexion de Mallarmé sur la langue qui a bouleversé la poésie du XIXe siècle et d’après, jusqu’à aujourd’hui. Vers 1863, le poète articule l’existence de deux langues différentes, radicalement hétérogènes : l’une destinée à la simple information, n’a pas d’autre ambition que de raconter, de décrire ou d’enseigner ; elle permet l’échange entre les hommes. Les mots ressemblent alors à des pièces de monnaie qu’on se passe de main en main ; l’autre, fondamentale, s’efforce de revenir à l'origine sacrée de la langue et, en retrouvant des pouvoirs magiques, échappe à la banalité pour parvenir à exprimer les essences. C’est à partir de ces considérations posées en toute simplicité que Mallarmé s’apprête à faire passer une étude scientifique du langage. Pour lui, parole et écriture sont complémentaires. Le texte poétique reflète les manifestations de l’Idée et fait surgir une musicalité. Le mot s’inscrit sur la blancheur de la page, « pli de sombre dentelle, qui retient l’infini ». Ainsi est-il que les mots du poème, réservés aux seuls initiés, parviennent à susciter la notion pure, dégagée de toute réalité. La disposition typographique y contribue de même, elle aide à l’éclosion du sens. Partition musicale et grimoire d’idées, l’écriture de poèmes chez Mallarmé tente de réinvestir le mot de ses pouvoirs perdus.

Et, il est bon de temps en temps de se plonger, de replonger dans l’œuvre d’un poète, ici Mallarmé, pour faire revivre l’évidence que le vers permet de combiner les mots et parvient à « autre chose », à une sonorité inattendue, à une idée saillante, prodigieuse. On voit alors que le poète crée des voisinages inhabituels. Il sait disposer les paroles pour qu’elle se renforcent, s’opposent, s’estompent ou se complètent. Ces paroles perdent un peu de leur autonomie pour vivre dans le vers. Dans une lettre à Henri Cazalis du 5 décembre 1866, Mallarmé précise sa pensée : « … ce à quoi nous devons viser surtout est que, dans le poème, les mots – qui déjà sont assez eux pour ne plus recevoir d’impression du dehors – se reflètent les uns sur les autres jusqu’à paraître ne plus avoir leur couleur propre, mais n’être que les transitions d’une gamme. Sans qu’il y ait d’espace entre eux, et quoiqu’ils se touchent à merveille, je crois que quelquefois vos mots vivent un peu trop de leur propre vie comme les pierreries d’une mosaïque de joyaux ». (Corr. I, p. 234).

Portrait par Manet, 1876
Outre ses poèsies et des idées, reste aussi dans l’esprit des lecteurs, Mallarmé peint par Édouard Manet. Un sourire énigmatique sur les lèvres cachées, le poète dissimule sa vision tragique de la vie derrière une apparente sérénité. Même dans les moments difficiles où sa raison vacille, il se retient de sombrer dans la rigidité de l’excessif sérieux. Il va jusqu’à se pasticher lui-même dans Prose à Cazalis. Mallarmé sait que le sourire constitue un des meilleurs remparts : sourire c’est conserver son mystère ; donner à voir et à entendre « autre chose ». 

24/01/2011

mozart @ 225 festival

The winter edition of the Toronto Symphony orchestra programme celebrates one of classical music’s most brilliant and young composers, Mozart, at an annual Mozart @ 225 festival.

The January 22nd weekend concert presented a special repertoire of arias that Mozart composed at age 14 as part of different operas. In Mitridate and in La Betulia liberata, written when he was 15, the virtuosity of the vocal writing was amazingly rendered by the Quebec contralto Marie-Nicole Lemieux, as were arias from the masterpieces Le nozze di Figaro and La clemenza di Tito. Lemieux turned out to be a perfect soloist for Mozart’s opera music, accompanied by Maestro Bernard Labadie, one of TSO’s favourite conductors.

There were also two Mozart symphonies in the concert. While the K.319 symphony brought the intimate texture of chamber music into the full sound of a symphony orchestra, the Prague K.504 opened with a movement of drama as if to remind us that Mozart was himself a fine listener and poet of human emotions. A delightful classical music series to continue until January 30th; warm heart-felt music for cold winter days. 

20/01/2011

Proust sur le petit écran

Dans un article du Monde d’aujourd’hui, on apprend que Nina Companeez a tourné à partir d’avril 2010 un film intitulé À la recherche du temps perdu, production pour France télévisions et Arte, adaptée de l’œuvre de Marcel Proust.

J’aimerais pouvoir regarder À la recherche du temps perdu programmé les 1er et 2 février sur France 2, comme l’annonce Le Monde. Il s’agirait de 210 minutes porteuses où le narrateur d’apprête à édifier sa cathédrale de papier.

Ambitieux projet qui fait rêver..

15/01/2011

annette messager, pudique et publique

Depuis les années 70, Annette Messager explore la réalité du quotidien, s’interroge sur le dérisoire de la condition humaine et la difficulté d’être femme dans un monde d’hommes. Cette semaine, la série Empreintes sur France 5 lui dédie un documentaire réussi et porteur (disponible sur internet jusqu’au 21 janvier) où on découvre une artiste « pudique et publique » qui ne cesse de nous surprendre par sa singularité, par le choix des sujets de travail balayant le monde qui nous entoure et l’être humain, notre rapport à l'animalité, les tensions entre réel et imaginaire, entre tendresse et cruauté.  S’y ajoute tout un éventail de postures d’Annette Messager : AM collectionneuse, AM amoureuse, AM chercheuse, AM femme pratique…

Par l'originalité de ses œuvres où se superposent photos, filets, animaux empaillés et vêtus de bonnets, crayons colorés, lettres en crochet, figurines en peluche, statuettes, Annette Messager subvertit des clichés, interroge la multiplicité du monde et montre que l’artiste n’est pas dans une normalité, dans l’ordinaire, mais se place toujours du côté de la monstruosité, de la sorcellerie, de la magie. L’artiste « déplace des choses », elle les secoue et les met en valeur selon sa sensibilité, son regard et des idées.

À suivre le chemin d’Annette Messager qui dans les années 70 œuvrait à se distinguer des promoteurs de l’art conceptuel et minimaliste en s’attaquant à des sujets incongrus, d'une inquiétante étrangeté – rappelons sa série de moineaux empaillés couverts de petits manteaux crochetés, qu’elle appela Les Pensionnaires ; puis, la collection de photos de braguettes d'hommes accompagnées de petits textes, Les hommes que j’aime et Les hommes que j’aime pas – nous pouvons bel et bien reconnaître avec elle qu’il est possible de tracer un parcours d'artiste et d'être femme. Le Lion d'or à la Biennale de Venice 2006   pour un projet original et créatif autour de l'histoire de Pinocchio, n'est qu'un signe de reconnaissance parmi d'autres.  


Le documentaire de France 5 est un beau rendez-vous avec une artiste mondialement reconnue, intéressante et attirante.  

14/01/2011

the misanthrope

Molière is today remembered as one of the chief contributors to King Louis XIV’s flourishing seventeenth century court, and one of the greatest playwrights the world has ever known. However, his status and legacy were by no means certain in his time.

The Misanthrope was written and performed in 1666, just two years before the author’s death.

Till February 6, 2011, the Tarragon Theatre in Toronto presents a modern version of The Misanthrope. Molière's fierce satire about personal and aesthetic integrity is set in today’s celebrity culture wittily adapted by the British playwright Martin Crimp and directed by Richard Rose. Despite the Misanthrope’s biting critique of the film industry, the contemporary Alceste falls in love with a rising starlet. Torn between desire and unflinching morality, the present anti-hero strikes out at hypocrisy in a world shamelessly built on it.


Will love or misanthropy triumph?

A comical intelligent play that you might want to see. 

04/01/2011

pensées de nouvel an

Je ne crois pas être la seule à penser le début de l’année comme un commencement tout frais. Le jour de l’an se fait prétexte pour renouveler des rêves, imaginer des projets, tisser des rituels de vie et de travail. C’est peut-être aussi la promesse silencieuse de porter les paradoxes de la réalité comme quelque chose de tonique.

En feuilletant le dernier numéro de la revue Dialogue francophones (no16, décembre 2010), deux interviews avec des écrivaines, Catherine Mavrikakis et Angela Cozea, semblent faire écho à ces pensées de nouvel an. En parlant de l’écriture de fiction par rapport à l’essai et au texte théorique, les deux auteures invoquent la non-maîtrise, la possibilité de l’accident, de l’imprévu qui vous surprend à l’instar d’un début d'histoire, d'une première. Si l’écriture théorique inscrit un point de vue et apparaît plus monolithique, la fiction est la zone de l’inconnu, de la représentation de la réalité psychique, du rêve qui prolonge le réel. C’est ce côté de puissance magique qu’exerce la fiction qui m'a attirée dans les paroles des écrivaines. 


Il y a aussi l’écriture de soi qui me plaît chez Mavrikakis et Cozea. Dans Le Ciel de Bay City (2009) et dans Interruptions définitives (2008), chaque écrivaine semble donner voix à des personnages proches de la biographie, hantés par ceux qui ne sont plus. Chez Mavrikakis, l’héroïne refuse de faire le deuil des morts qui ont jonché sa vie et celle de sa famille. Pour Cozea, il s’agit d’une jeune fille, Angela, indéfectiblement marquée par le passé qui ne passe pas. La ligne de sa vie est prise à jamais dans un attachement douloureux avec des personnes, des lieux et des paysages désormais perdus. La mélancolie devient ainsi un mode d’être, une sorte de rempart contre des souvenirs qui effleurent avec  une force effrayante. 

Se poursuit dans les témoignages des écrivaines quelque chose de l’ordre d’un vœu pour l’avenir qui fait penser aux résolutions qu’on a coutume de faire au nouvel an. Cela se lit chez elles tel un désir de pouvoir écrire, d'avoir la force d’imaginer et de penser qu’il y aura à l’autre bout du fil quelques gens pour répondre aux appels qui sont leurs livres. Angela Cozea, qui écrit Interruptions définitives à partir de son vécu dans la Roumanie communiste des années 60 jusqu’aux 80, n’oublie pas le pouvoir des souvenirs qui vous prennent parfois de plein fouet même quand on croirait qu’ils sont « éloignés ». « Prendre sur soi », dit-elle, « se croire plus forte que l’on ne peut être en réalité, tout subir, on peut dire qu’il y a là les traces, les cicatrices des souvenirs qu’on appelle éloignés ». Chemin faisant, il s’avère que ces traces sont fondatrices d’une manière d’être et de raconter. L’écriture apparaît alors comme une résistance, une manière de « repousser les assauts des regrets pour la rage avalée au moment où aucune justice n’était là pour vous protéger ». S'ensuit cette autre question signifiante : écrire pour qui ? Dans les mots de Cozea, se donne à lire une solidarité qu’on aimerait peut-être partager un jour autour d’un texte ou d’une parole : « écrire pour des personnes qui ont vécu au même moment des choses apparentées, et pour leurs enfants, qui sont aujourd’hui de mes étudiants ».

Ce processus d’écriture où l’on témoigne de soi sans nécessairement imposer son témoignage à la connaissance ou à la conscience de ceux qui vous entourent, me fait aussi penser au travail de l’artiste Jean-Michel Basquiat, qui dans des toiles géantes et des couleurs stridentes, ne cesse de parler de lui-même, de ses troubles, de son existence d’enfant prodige. Le Figaro du 3 janvier consacre un article –  une vidéo plutôt – à l’exposition Bosquiat qui se déroule en ce moment au Musée de l’art moderne de la ville de Paris. Les commissaires de l'événement se disent contents du succès de l'exposition. L’immense diversité des toiles du peintre haïtien de New York (1960-1988) qui en une dizaine d’années de carrière réalise environ 1000 tableaux et 2000 dessins, parle aux jeunes ainsi qu'aux adultes. L'artiste s’éteint à 28 ans d’une overdose, mais sa passion pour le travail, le mélange sophistiqué de peinture et de dessin, de violence et de chaleur, qui se dégage de ses œuvres, continue de nous appeler et de nous faire penser. 

J’aime croire que de tels parcours d’artistes et d’écrivains, fulgurants et attachants, disent quelque chose de vrai sur notre pouvoir de nous abandonner à l’art, aux mots, aux rêves. Reste en filigrane cette question toujours présente : l’amour. Romain Gary, à la fin de son troublant roman La vie devant soi, le reconnaît avec justesse : « on ne peut pas vivre sans aimer…. Il faut aimer ». Car après tout,  pouvoir trouver un point de passion, des choses passionnantes, c'est peut-être ce qui rend l'existence supportable, ouverte à une certaine création. 


Disons que c'est l'espoir à renouveler avec l'année..