Je ne suis pas la seule à regarder l’œuvre d’Annette Messager en cherchant du sens – mon sens. Qui ou quoi vois-je dans les « messages » de Messager ?
Annette Messager
Artiste française contemporaine et plasticienne née en 1943, Annette Messager me touche et m’apparaît touchante par son travail sur l’identité féminine. La figure de la femme telle qu’elle se donne à regarder au travers des différentes collections est, quel que soit le point de vue, morcelée, contradictoire, pas moins, paradoxale : femme amoureuse ou castratrice, séduisante ou méchante, sirène ou sorcière, ce personnage entraîne au jeu et joue subrepticement entre réalisme et fantastique. Son identité est faite de petits morceaux, assemblés, coupés, collés, façonnés volontairement comme on façonne son corps. Car, il n’est pas innocent que, parmi d’autres objets, ce soient les ciseaux que l’artiste aime collectionner.
Les Messagers de l'été
Mes Trophées
Messager réfléchit à chaque partie du corps, invente des histoires d’engendrement, pense au vieillissement, à la peau qui subit la chirurgie esthétique, à la beauté éphémère, au sexe. Des bouts de photos, des dessins, des pages de journal intime, du vécu et du fantasme, tout cela pour créer un univers composite, porteur, un théâtre de l’humain où la femme est à la fois créatrice et actrice. Et aux appels de cette femme-messager répondent des oiseaux déguisés dans des Poupées ou des Pensionnaires, si on pense à une première étape de la création ; puis, des « hommes que j’aime » et « des hommes que je n’aime pas », des variétés du bonheur, le jardin du tendre ; plus tard, les topographies du corps et les topographies de l’âme ; aussi, histoires de robes ; et récemment, « le théâtre du monde » dans des installations animées par des marionnettes, des animaux en peluche sur des piques, des tissus, filets noirs ou blancs, gants, cordes, crayons de couleurs qui percent les murs ; des corps et des décors comme pour inscrire la discontinuité, le deuil, le chaos originel ; et tout dernièrement, « les messagers de l’été » qui font penser à la fragilité de l’existence.
Les Pensionnaires
Il y a aussi ce postulat cher à Messager : « rendre la vie plus intéressante que l’art », à partir duquel elle semble décliner l’essence du féminin traquée dans les moindres stéréotypes et monstruosités. Après avoir sondé l’univers quotidien – comme le ferait l’art populaire – et après avoir collectionné des images banales qui fondent la personnalité d’une jeune femme, c’est l’univers fantomatique, lui-même associé au caractère frivole et maléfique de la féminité, qu’elle va explorer. Le passage de l’art qui dit à l’art qui agit, du jeu à l’acte, de la passivité à une certaine image de femme battante, ne s’inscrit pas dans une revendication de la vérité mais dans une réaffirmation de l’humain avec ses forces et ses abjections, toujours centrale à l’œuvre. Au fond, toutes ces figures monstrueuses faites pour confronter l’homme ou la femme à sa propre discontinuité, pour désigner l’incohérence du moi, trouvent une matérialité par d’infinies variétés de formes, depuis les animaux hybrides jusqu’aux poupées mutantes. La crise du moi s’incarne dans la forme en crise : instable, composite, fragmentaire, celle-ci entretient avec le sujet un rapport paradoxal. Dans ses projets, Messager n’hésite pas à montrer les troubles de la création : ratures, tâtonnements, et hésitations et quêtes. Par la brèche de ces petites imperfections – volontaires, dirait-on –par la fêlure des failles qui se laissent apercevoir, le spectateur entre dans la création, trouve son issue et s’identifie ou pas par une émotion à un parcours ou à un autre. Ainsi est-il que l’émotion que met en scène la créatrice et celle du regardeur se heurtent, se donnent la main.
Des Piques
Puis, ce qui est fascinant aussi dans le travail de Messager – au fil des différentes étapes de son œuvre – c’est le mélange inextricable de conscient et d’inconscient, de raison et déraison, ce chemin sinueux qui croise et recroise le cours de l’humain et de l’histoire. Et il y a aussi des accents de ritournelle dont les thèmes passent et repassent par les biais des formes les plus déconcertantes. Si Emerson, pour évoquer Edgar Poe, l’appelle familièrement the gingleman, j’aime penser à Annette Messager comme à une femme du refrain, de la ritournelle : de l’enfance, des poupées, des corps, des amoureux, des animaux, des disparus. Son œuvre a des accents lancinants, une certaine familiarité tour à tour intéressante, touchante, inquiétante, énervante, qui renvoie la question de la représentation par l’art dans la sphère de l’intime, de l’imprévisible, de l’impondérable et de l’universel. Cela se vit comme une petite chanson qui court sur mes lèvres, et que j’oublie, qui revient, dont les mots s’animent et s’éteignent sans perdre de leur pouvoir ; messages venus de loin que Messager transforme en messagers vivants par l’art.
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