17/08/2010

... le téléphone


Je ne voulais pas laisser passer cette journée sans déposer sur une page blanche une petite pensée, histoire de soutenir mes inquiétantes habitudes et insérer un bref billet sur cet écran. Et voilà : penser le téléphone, l’idée s’imposa à moi avec Julia Kristeva, surtout lorsque je lus vers la fin de son roman Les Samouraïs, ces quelques remarques sur le cocasse outil. Car, comment dire autrement : ses mots, les mots de Kristeva, je les ai lus comme une banalité, mais une banalité qui disait vrai au point que je m’y retrouvais quelque peu. Aussi, je me surpris réconfortée d’avoir pu reconnaître cette pensée ; de m’être reconnue dans une voix autre comme si c’était ma voix à moi qui s’exprimait. Et si encore, je cherche je cherche des mots mélodieux ou anxieux pour dire les sens de ce que je voudrais, pour cet instant, je me contente de repérer, de répéter et de citer ; parler avec et dans les autres. Je sais, la complaisance ; laissons ce soir. Puis, c’est promis, j’essaie, je me fais confiance, j’apprends l’autonomie, tu vois, l’autre face de la citation.

Le téléphone, donc :

« Fabuleuse invention, le téléphone. Les gens mènent leurs vies, leurs amours au téléphone : le face-à-face est trop dur, on ne se voit pas ou on s’agresse ; alors qu’au téléphone vous raccommodez, promettez, écoutez, n’écoutez pas, songez, flottez,  et cela passe ou cela reprend – la vie ou l’amour. Le téléphone préserve votre indépendance, vous faites ce que vous voulez, vous êtes libre, aucun corps ne pèse à côté. Et pourtant, vous avez un cordon ombilical à portée de main : le contact est vite rétabli, en quelques secondes vous savez tout ce que vous voulez savoir de l’autre à l’autre bout de la Terre, c’est-à-dire pas grand-chose, qu’il est là, qu’elle est là, que le lien existe, l’apparence en somme, mais les apparences sont essentielles, il est tellement plus civilisé d’aimer les gens par téléphone, ça ne dure pas longtemps mais l’étincelle a eu lieu, vous êtes tous les deux comblés, puis de nouveau tous les deux séparés, autonomes, légers... 
Âllo, Olga ? Tout va bien ?... Je vous aime ». (p. 420) 


D’ailleurs, c’est une immense phrase qui saute de virgule en virgule, qui monte et qui descend, qui se serre, qui se dilate de ligne en ligne, pour finir par s’enliser dans une vérité aiguë, ahurissante, déchirante… Celle qui laisse dans le besoin de la « prochaine fois ».
Entre temps, de quoi contempler le ciel, et rêvasser et deviner les contours des nuages qui peut-être s’allongent ou peut-être pas jusqu’à l’autre bout du fil invisible.


Ciel d'été à Toronto


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