Le débat se poursuivra à jamais entre ceux qui voient le pop art comme une apologie de la société contemporaine et ceux qui y voient une critique. L’expo « La vie en pop. L’art dans un monde matérialiste » au Musée des Beaux-Arts du Canada m’a donné l’étrange sensation que presque n’importe quoi peut passer pour de l’art, que l’art est devenu contemporain en nous parlant de notre vie de tous les jours. Il s’agit d’une expo qui met en lumière des formes d’art ayant recours à des matériaux hétéroclites, à des objets manufacturés, des matières naturelles et périssables, et jusqu’au corps de l’artiste. Que ce soit une page de journal, une illustration publicitaire pour une cannette de petits pois, les négatifs de la série de photos de Marilyn par Andy Warhol, un poulain unicorne en formol, ou un t-shirt ‘I love Pop Art’, tout semble éveiller une certaine sensation d’étrangeté. Assez intéressant à condition de s’autoriser de jouer le jeu, d’entrer en dialogue avec l’œuvre proposée et de tenter par endroits de « performer », c’est dire d’achever ce qui le demande, d’être un peu un regardeur curieux, pas dépourvu d’humour.
The National Gallery of Canada
La définition du pop art comme art populaire me revient. Je vois le goût de la subversion de ces artistes américains qui occupent la scène à partir des années 60 ; je reconnais la mise en question de la banalité quotidienne, l’envie d’effacer les frontières entre l’art et la vie. Je vois de même que parcourir les salles de cette expo donne à penser, secoue les clichés et me laisse un peu sur ma faim, si jamais j’étais portée à répondre à la question : quel artiste me plaît ou quelle pièce ? Autrement, ce qui est fascinant dans cette visite, c’est l’impression d’être « déplacé » ; déplacé dans un univers où rien ne se tient dans les dimensions rangées de la beauté de l’art classique ou de l’art moderne du début du XXe siècle. Le pop art bouleverse les idées sur l’imaginaire créatif, les limites de la célébrité et interroge le rapport de l’artiste aux personnalités de l’époque, aux financiers. Voilà que l’art n’est pas réservé à une élite ; et pour être artiste, il ne faut plus passer par une académie ou avoir un don particulier. Reste la question du réseau de promotion, de ceux qui entourent et soutiennent l’artiste ; le galeriste, le collectionneur, le groupe d’amis. Et cette autre question importante : à quoi tient le succès ? Qu’est-ce qui fait qu’un jeune artiste et pas un autre trouve sa voie sur l’échelle.. de l’art.
The National Gallery of Canada, "Maman" de Louise Bourgeois
La célébrité donc, la reconnaissance sociale et du public, c’est délicat. Dans cette expo, on comprend avec Jeff Koons qu’être célèbre tient, entre autres, aux plus étranges « expressions » artistiques, comme par exemple, à l’affiche du film provocateur Made in Heaven ou, par moments, à des photos pornographiques. Pourquoi pas, si cela continue d’attirer des gens et fait parler. Après tout, ce fut agréable de voir des jeunes aujourd’hui au musée.
L’expérience de la curiosité est passionnante aussi lorsqu’il s’agit de comprendre les coulisses de la création ; lorsqu'il s'agit de saisir les sources de l’œuvre d’art, son univers imaginaire, comment se réalise la production ; ou encore, d’où viennent les idées et où vont-elles ? Après tout, il y a toujours en l’homme une aspiration vers quelque chose qui le dépasse, qu’il ne comprend pas bien, mais en direction duquel toutefois, il construit des routes, et qui le pousse à maintenir l’envie de découverte vivante ; le désir de rendre une absence présente. Visiter cette expo m’a fait un peu prêter écoute à cette réalité, histoire de croire aussi qu’il ne faut pas avoir honte d’aimer la vie moderne avec sa vaisselle en plastique et ses affiches de publicité aux couleurs criardes ; mais en revanche, la questionner, la regarder de face ; et si on peut, l'illustrer par.. une certaine création.
Toujours dans ce musée, au deuxième étage, parmi les expos permanentes, ‘Angela Grauerholz : The Inexaustible Image’, vaut la peine de s’arrêter. A travers des grandes photos portraits de femmes, Grauerholz examine la photographie comme moyen d’expression dans sa relation avec le temps, la mémoire, les collections, l’imaginaire collectif. Elle tente de mettre en œuvre un regard porté vers l’extérieur à partir d’un espace intérieur. Pour quelques instants, elle me donna l’impression que ses photos me regardaient, m’appelaient pour me ramener à mes propres expériences du passé, pour me faire penser au passage du temps, de l’histoire collective. Intéressante manière de réfléchir au rôle de la photo dans la mesure ou elle permet d’enregistrer ce passage du temps, et à la fois, donne le sentiment d’un continuum entre le passé, le présente et l’avenir.
A la sortie de cette expo, j'aime croire que le pop art et la photographie interrogent, chacun à leur façon, une forme de transmission : de la vie, des objets, des êtres. Et par ce mirage, des choses s'inscrivent, échappent à l’éphémère...
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