29/12/2013

philomena


C’est 2013, décembre s’achève, il nous reste deux jours, mais je crois avoir compris. Le hasard n’existe pas plus que la vérité. Fiction contre fiction, chimère contre chimère, ça ne peut plus être ma guerre. Dans le réel, écrire. Aller plus loin. Donc inventer.

Peut-être qu’il ne faudrait jamais s’en faire du passé. Une voiture démarre devant un couvent des sœurs en Irlande. Nous sommes en 1956. Le petit garçon de six ans s’en va avec ses riches parents adoptifs, il ne reverra jamais sa jeune mère de naissance. Aujourd’hui, Anthony aurait 50 ans. Presque cinquante ans depuis qu’elle n’a plus revu son fils, cinquante ans depuis ce qui s’est passé, cinquante ans de silence, cinquante ans de douleur, de je veux savoir, de je veux pas savoir, cinquante ans d’invention, de visions de personnages qui seraient Anthony, garçon, adolescent, jeune homme, mari, homosexuel, sans-abri, intelligent, retardé, et la rencontre avec Martin, le journaliste, et ce projet de oufs, j’ai enfin pu révéler le secret de ma vie, viens avec moi, Martin, chercher Anthony. Essayons de le trouver. Et pour point de départ, cette histoire vraie et troublante des jeunes filles irlandaises après la Seconde Guerre, qui accouchaient dans la honte et se retrouvaient accueillies à un couvent catholique, où les sœurs ne faisaient que leur enfoncer le couteau plus loin dans la plaie les faisant ressentir le péché, les forçant aux travaux les plus durs… leur allouant seulement une heure de temps par jour avec leurs enfants. Hantée par des images de ces années-là, Philomena, âgée de presque soixante-dix ans, l’héroïne du film éponyme récent, raconte et laisse couler des larmes. Par où commencer Martin ? Will you help me find my son?


Le bon sens commanderait d’écouter attentivement l’histoire de Philomena, de penser à des montages, des stratégies, noircir des carnets de notes. Observe donc, Martin, puisque tu t’y trouves et as accepté de t’embarquer dans cette enquête. Écoute, mais comment mettre en acte ce que l’histoire déplie ? Martin saura comment agir, par où commencer. Quant au film, il nous attire, nous captive, nous tient en haleine. Il nous montre avec allure qu’il faut s’en faire du passé pour vivre mieux le présent.

23/12/2013

citation, notes, mots


Étaler mes citations, mes notes que je garde dans un petit cahier à couverture verte cartonnée :

« Quand tu seras devenu ce que ta mère a dit, ne nous oublie pas. Tu sais, Romain, les gens comme nous sont toujours menacés, surtout par les temps qui courent. Et puis nous sommes dans un pays où on ne nous aime pas beaucoup… Je ne suis pas sûr que la mère n’ait pas vu trop grand, mais si un jour tu deviens écrivain, que tu as accès à des journaux, ce sera à toi de garder notre mémoire. Les mots servent à cela, à empêcher que les hommes s’effacent complètement.
Écris des textes qui donnent la parole à ceux que tu as connus. Ne dis pas forcément les choses comme elles se sont passées, mais transforme-les en légendes, et trouve le ton de voix qu’il faut pour les raconter. Ou alors, cite les noms, mais précise bien où nous habitions. Pour moi, contente-toi de leur dire ‘Au no16 de la rue Grande Pohulawska à Wilno, habitait un certain M. Piekielny’, et cela suffira ». (Romain Gary cité par Pierre Bayard, Il était deux fois Romain Gary, Paris, PUF, 1990, p. 123).


Écrire, témoigner mais faire attention. Faire attention. Redonner vie à ces gens, à ces reliques, les sortir de moi, mais comment ?


22/12/2013

scène matinale


Le salon au rez-de-chaussée un dimanche matin en décembre. Feu dans la cheminée et, au-dehors : arbres givrés et pluie verglassante. Ponctuellement, la CBC radio rappelle le titre de l’émission spéciale qui se déroulera toute la journée aujourd’hui : Joy to the world, de la musique classique pour Noël de sept pays de l’Union européenne, et pour finir, l’orchestre symphonique de Montréal. Dans la cuisine de l’autre côté du couloir, Serena, tout en rangeant les assiettes dans le lave-vaisselle, pousse des soupirs exaspérés…

après la pluie verglassante, Toronto

-       Pourquoi il y a des choses auxquelles je ne pense jamais à moins qu’un film, un livre, ou quelque chose me le fasse voir ? Je lui demande alors que nous sommes en train de finir une tasse de thé…
-       Ah, ça ! C’est parce que tu penses à Zizek et à son Pervert’s Guide to Ideology Prochaine fois, il faudrait trouver une question plus intéressante, neuve.  

ON COUPE.
Silence.

Dans la rue, une ambulance vient de mettre la sirène. Je sursaute comme si le bruit était de mauvais augure. Milan se redresse dans le fauteuil et étouffe un bâillement d’ennui.  

arbre en verglas, Toronto



21/12/2013

décembre


Décembre, lumières blanches en forme de sapin au long de Bloor Street, beauté étincelante d’un quartier bourgeois de Toronto à la saison des fêtes. Ce panorama me rappelle une rue analogue à Paris… un soir pluvieux il y a quelques années, toujours en décembre, le boulevard décoré de lumières en coupes de champagne. Au premier regard, j’ai trouvé l’idée assez curieuse… coupes de champagne ou sapins la tête en bas ?

Pendant que je marche, mon regard parcourt les vitrines des boutiques de marque, les unes plus galantes que les autres, et mon esprit reste accroché au film que je viens de voir : Inside Llewyn Davis, le dernier des frères Coen. Là, je crois que je tente de voir un peu pourquoi l’histoire m’a émue. Il n’y a pas de véritable trame narrative, la caméra suit une semaine dans la vie du chanteur folk Llewyn Davis. Mais de fil en aiguille, sa vie se déploie comme extraordinaire par les petits riens qui l’animent, l’activent et la portent : obstacles, incidents, espoirs, aventures… une vie qui se cherche et qui cherche à donner sens aux expériences de tous les jours. Gros plan sur la musique folk avec ses teintes mélancoliques, la musique qui unit les hauts et les bas du quotidien du personnage.


If I had wings, la chanson première et dernière du film est suggestive pour les rêves de Llewyn Davis, musicien sans sous mais avec du talent, qui vit de rien mais qui ne cesse de rêver. Puis, il y a le panorama de New York et de Chicago en 1961, et l’ambiance feutrée des bars à musique folk. Il ne manque les amitiés, l’amour, les rencontres, l’espoir et désespoir. Et le chat sans sourire du professeur de Llewyn, qu'il a promis de garder ; et de temps à autre, un sourire sans chat. Au long du film, on a beau chercher une fée Clochette qui touche quelque chose de sa baguette magique et le transforme en autre chose… Il n’y en a pas. Le film nous plonge dans la vie, simplement, et nous laisse avec cette chanson dans la tête… If I had wings. Ce n'est pas rien. 


07/12/2013

en attente

Dernière photo, dernier texto effacé. Le nouvel iPhone a une mémoire blanche. En attente.

Est-ce bien une façon d’opérer dans l’écriture un début de travail de deuil ? de me libérer de ces villes réelles et fantasmées en leur assignant enfin une place, un nom, une histoire ?

On sait bien que l’écriture prend toujours le sujet en défaut. Autobiographie, autofiction, autoanalyse, autobiotexte, tout ce qu’on veut. Jouer avec les identités narratives, avec les lieux d’un récit, savoir qu’on joue avec, c’est tout. C’est en divaguant, en délirant, en rêvassant qu’on va plus loin. Peut-être. "En attente", c'est le titre de ce chapitre. 


05/12/2013

cinquième jour

Je me suis réveillée avec un grand mal au printemps comme on a mal à la tête. Écrasée de travail. Je ne sais pas quand je vivrai le printemps en mars au Canada. Les crocus me manquent. Tout me manque. 

Écrasée de travail. Deux articles à faire en même temps, un texte à soumettre en retard et les examens à corriger, sans compter le reste. A peine le temps de respirer. C'est le cas de le dire. Les poumons malades de l'air frigorifiant de Winnipeg. La lutte contre la montre et les hostilités de l'environnement Canada qui annonce des températures de -20 pour les prochains jours. Je rêvasse néanmoins, j'invente des bouts d'histoires sans liens, des scénarios, des hypothèses, des textes qui viendraient se tresser, se de-tresser, comme remède à ma détresse, des débris de textes : 

Soit un jeune chercheur Allemand en histoire européenne qui découvre sur un site de rencontres une jeune chercheuse en géographie qui fait présentement des recherches à Rio. "We already had some intriguiging conversations via IM, dit-it, I do not know if this is gonna lead somewhere, but so far I've been quite excited by it". Il s'agit d'une composition utopique ou de science-fiction, sans doute écrite par un fou, mais le jeune Allemand n'a pas les moyens de savoir qui est l'auteur de ce curieux document. Il raconte qu'il va partir lui-même à Prague pour 14 jours finaliser un projet de recherche qu'il a en cours sur les musées et la mémoire de la Deuxième guerre. Puis, il sera à Berlin et à Frankfort, et à Londres UK "for fun". Back to Canada on January 5. Il ne raconte rien d'essentiel. L'essentiel de son programme de séduction consisterait à démocratiser l'intellectualisation de la vie, la sienne pour commencer.

04/12/2013

personne(s)

La collection « Le livre de la vie » réalise le projet imaginé par Roland Barthes de « prendre un livre classique et tout y rapporter de la vie pendant un an ». Pour son septième titre, Sarah Chiche s’est emparée d'un livre qui l’accompagne depuis de nombreuses années, Le Livre de l’intranquilité de Bernardo Soarès, le semi-hétéronyme de Fernando Pessoa. Pour cela, elle a dû faire face à trois difficultés. La première tient à l’inachèvement et à la fragmentation de ce texte auquel Pessoa a travaillé les vingt dernières années de sa vie. Reconstitué et régulièrement réarrangé à partir des fragments abandonnés dans sa fameuse malle « pleine de gens », comme l’appelle Tabucchi, ce livre est condamné à demeurer « à jamais la doublure du livre manquant ». La deuxième difficulté est l’écriture elle-même qui, selon Pessoa, est toujours un échec. Les mots appauvrissent la pensée. Écrire, rajoute Chiche, « c’est admettre douloureusement, qu’à chaque étape de l’écriture, quelque chose renonce et meurt ». Enfin, quiconque lit ce chef-d’œuvre ressent une « fatigue poisseuse qui prend au corps, gagne la tête, puis la langue et les yeux ».


Si malgré ces difficultés, Personne(s) est une réussite, c’est parce que Sarah Chiche vit le texte plus qu’elle ne le lit. La mélancolie du poète la renvoie à la sienne et elle se souvient, par exemple, avoir autrefois trouvé refuge dans un hôtel comme Soarès a trouvé refuge dans sa chambre de la rue des Douradores. Si Pessoa ne parvient pas à faire le deuil du père et à pardonner à sa mère, Chiche réussit. « Ma mère est morte il y a douze ans, écrit-elle. Elle est aujourd’hui en pleine forme et nous nous entendons merveilleusement bien ». Chiche résume la difficulté à être en une formule qu’on pourrait croire de Pessoa lui-même : « Le moi est un terrain meuble et le monde, un simulacre – mais le café est bon ». Méditation sur la mélancolie, le deuil, l’écriture et l’existence, Personne(s) est un livre attachant pour les amateurs de Pessoa et pour les autres.