17/08/2010

... le téléphone


Je ne voulais pas laisser passer cette journée sans déposer sur une page blanche une petite pensée, histoire de soutenir mes inquiétantes habitudes et insérer un bref billet sur cet écran. Et voilà : penser le téléphone, l’idée s’imposa à moi avec Julia Kristeva, surtout lorsque je lus vers la fin de son roman Les Samouraïs, ces quelques remarques sur le cocasse outil. Car, comment dire autrement : ses mots, les mots de Kristeva, je les ai lus comme une banalité, mais une banalité qui disait vrai au point que je m’y retrouvais quelque peu. Aussi, je me surpris réconfortée d’avoir pu reconnaître cette pensée ; de m’être reconnue dans une voix autre comme si c’était ma voix à moi qui s’exprimait. Et si encore, je cherche je cherche des mots mélodieux ou anxieux pour dire les sens de ce que je voudrais, pour cet instant, je me contente de repérer, de répéter et de citer ; parler avec et dans les autres. Je sais, la complaisance ; laissons ce soir. Puis, c’est promis, j’essaie, je me fais confiance, j’apprends l’autonomie, tu vois, l’autre face de la citation.

Le téléphone, donc :

« Fabuleuse invention, le téléphone. Les gens mènent leurs vies, leurs amours au téléphone : le face-à-face est trop dur, on ne se voit pas ou on s’agresse ; alors qu’au téléphone vous raccommodez, promettez, écoutez, n’écoutez pas, songez, flottez,  et cela passe ou cela reprend – la vie ou l’amour. Le téléphone préserve votre indépendance, vous faites ce que vous voulez, vous êtes libre, aucun corps ne pèse à côté. Et pourtant, vous avez un cordon ombilical à portée de main : le contact est vite rétabli, en quelques secondes vous savez tout ce que vous voulez savoir de l’autre à l’autre bout de la Terre, c’est-à-dire pas grand-chose, qu’il est là, qu’elle est là, que le lien existe, l’apparence en somme, mais les apparences sont essentielles, il est tellement plus civilisé d’aimer les gens par téléphone, ça ne dure pas longtemps mais l’étincelle a eu lieu, vous êtes tous les deux comblés, puis de nouveau tous les deux séparés, autonomes, légers... 
Âllo, Olga ? Tout va bien ?... Je vous aime ». (p. 420) 


D’ailleurs, c’est une immense phrase qui saute de virgule en virgule, qui monte et qui descend, qui se serre, qui se dilate de ligne en ligne, pour finir par s’enliser dans une vérité aiguë, ahurissante, déchirante… Celle qui laisse dans le besoin de la « prochaine fois ».
Entre temps, de quoi contempler le ciel, et rêvasser et deviner les contours des nuages qui peut-être s’allongent ou peut-être pas jusqu’à l’autre bout du fil invisible.


Ciel d'été à Toronto


14/08/2010

messages, messagers : Annette Messager



Je ne suis pas la seule à regarder l’œuvre d’Annette Messager en cherchant du sens – mon sens. Qui ou quoi vois-je dans les « messages » de Messager ?

Annette Messager
Artiste française contemporaine et plasticienne née en 1943, Annette Messager me touche et m’apparaît touchante par son travail sur l’identité féminine. La figure de la femme telle qu’elle se donne à regarder au travers des différentes collections est, quel que soit le point de vue, morcelée, contradictoire, pas moins, paradoxale : femme amoureuse ou castratrice, séduisante ou méchante, sirène ou sorcière, ce personnage entraîne au jeu et joue subrepticement entre réalisme et fantastique. Son identité est faite de petits morceaux, assemblés, coupés, collés, façonnés volontairement comme on façonne son corps. Car, il n’est pas innocent que, parmi d’autres objets, ce soient les ciseaux que l’artiste aime collectionner.

Les Messagers de l'été

Mes Trophées 

Messager réfléchit à chaque partie du corps, invente des histoires d’engendrement, pense au vieillissement, à la peau qui subit la chirurgie esthétique, à la beauté éphémère, au sexe. Des bouts de photos, des dessins, des pages de journal intime, du vécu et du fantasme, tout cela pour créer un univers composite, porteur, un théâtre de l’humain où la femme est à la fois créatrice et actrice. Et aux appels de cette femme-messager répondent des oiseaux déguisés dans des Poupées ou des Pensionnaires, si on pense à une première étape de la création ; puis, des « hommes que j’aime » et « des hommes que je n’aime pas », des variétés du bonheur, le jardin du tendre ; plus tard, les topographies du corps et les topographies de l’âme ; aussi, histoires de robes ; et récemment, « le théâtre du monde » dans des installations animées par des marionnettes, des animaux en peluche sur des piques, des tissus, filets noirs ou blancs, gants, cordes, crayons de couleurs qui percent les murs ; des corps et des décors comme pour inscrire la discontinuité, le deuil, le chaos originel ; et tout dernièrement,  « les messagers de l’été » qui font penser à la fragilité de l’existence.

Les Pensionnaires

Il y a aussi ce postulat cher à Messager : « rendre la vie plus intéressante que l’art », à partir duquel elle semble décliner l’essence du féminin traquée dans les moindres stéréotypes et monstruosités. Après avoir sondé l’univers quotidien – comme le ferait l’art populaire – et après avoir collectionné des images banales qui fondent la personnalité d’une jeune femme, c’est l’univers fantomatique, lui-même associé au caractère frivole et maléfique de la féminité, qu’elle va explorer. Le passage de l’art qui dit à l’art qui agit, du jeu  à l’acte, de la passivité à une certaine image de femme battante, ne s’inscrit pas dans une revendication de la vérité mais dans une réaffirmation de l’humain avec ses forces et ses abjections, toujours centrale à l’œuvre. Au fond, toutes ces figures monstrueuses faites pour confronter l’homme ou la femme à sa propre discontinuité, pour désigner l’incohérence du moi, trouvent une matérialité par d’infinies variétés de formes, depuis les animaux hybrides jusqu’aux poupées mutantes. La crise du moi s’incarne dans la forme en crise : instable, composite, fragmentaire, celle-ci entretient avec le sujet un rapport paradoxal. Dans ses projets, Messager n’hésite pas à montrer les troubles de la création : ratures, tâtonnements,  et hésitations et quêtes. Par la brèche de ces petites imperfections – volontaires, dirait-on –par la fêlure des failles qui se laissent apercevoir, le spectateur entre dans la création, trouve son issue et s’identifie ou pas par une émotion à un parcours ou à un autre. Ainsi est-il que l’émotion que met en scène la créatrice et celle du regardeur se heurtent, se donnent la main.

Des Piques







Puis, ce qui est fascinant aussi dans le travail de Messager – au fil des différentes étapes de son œuvre – c’est le mélange inextricable de conscient et d’inconscient, de raison et déraison, ce chemin sinueux qui croise et recroise le cours de l’humain et de l’histoire. Et il y a aussi des accents de ritournelle dont les thèmes passent et repassent par les biais des formes les plus déconcertantes.  Si Emerson, pour évoquer Edgar Poe, l’appelle familièrement the gingleman, j’aime penser à Annette Messager comme à une femme du refrain, de la ritournelle : de l’enfance, des poupées, des corps, des amoureux, des animaux, des disparus. Son œuvre a des accents lancinants, une certaine familiarité tour à tour intéressante, touchante, inquiétante, énervante, qui renvoie la question de la représentation par l’art dans la sphère de l’intime, de l’imprévisible, de l’impondérable et de l’universel. Cela se vit comme une petite chanson qui court sur mes lèvres, et que j’oublie, qui revient, dont les mots s’animent et s’éteignent sans perdre de leur pouvoir ; messages venus de loin que Messager transforme en messagers vivants par l’art. 

11/08/2010

le plaisir des formes



Il m’a semblé intéressant de m’appuyer sur l’œuvre de Louise Bourgeois (1911-2010) afin de saisir quelque chose de l’expérience imaginaire d’une artiste plasticienne. Ses sculptures-installations, ses peintures de jeunesse, ses thèmes de prédilection : l’enfance, le corps, la sexualité, la vulnérabilité, l’inscription de l’inconscient, donnent à regarder la créativité au féminin. Comment une femme transforme-t-elle les idées en réalité artistique ? Sous quelles formes ? Et quel plaisir des formes ? Où encore quelle place au vécu, quels rapports de l’œuvre à la vie ?

Louise Bourgeois, "One and Others"

Louise Bourgeois. Autrefois, je passais à côté de son nom, un nom que j’associais à la grande sculpture de l’araignée devant le Musée des Beaux-Arts du Canada. Et le 31 mai de cette année, l’écho de son décès dans les médias me fit m’arrêter, regarder, voir plus loin.

Louise Bourgeois, d’origine française, qui s’installa à New York en 1938, est devenue en quelques années un cas particulier dans l’histoire de l’art. Artiste aujourd’hui parmi les plus admirées, elle fut reconnue à près de soixante-dix ans. C’est selon elle, cette reconnaissance tardive qui lui permit de travailler en toute tranquillité. De fait, quels que soient les courants esthétiques qu’elle a pu côtoyer : le surréalisme, l’expressionisme abstrait, l’art conceptuel – il est évident que Louise Bourgeois ne s’est pas laissé séduire par aucun d’eux. Se méfiant des concepts et théories, c’est sur son roman familial, sur sa sensibilité de femme et sur « le paradis de l’enfance », qu’elle s’appuya pour réaliser son travail. Il le confie elle-même : quel que soit le mode d’expression employé, le moteur de son art réside dans l’exorcisme des traumatismes d’enfance ; un en particulier, le rapport au père, qui introduisit sa maîtresse Sadie, une jeune gouvernante anglaise, dans la maison familiale lorsque la mère consentante, s’enferma dans le silence ; ils vécurent ainsi pendant une dizaine d’années. Bourgeois parle de cette expérience comme d’une « trahison », qui fut également la faille d’où surgissent la rage et la source créatrice. Si cela se passait dans les années trente à Paris, ce ne fut qu’en 1982 que Louise en parla et mit cette histoire en rapport avec l'œuvre, avec ses peurs et son besoin de « réparer » par la sculpture.

Aveugle guidant l'aveugle

Je ne peux ne pas penser à la portée autobiographique de l’œuvre de Bourgeois, non seulement parce que l’artiste la revendique à travers des souvenirs d’enfance et d’adolescence, mais aussi parce que tout au long de son travail, elle renouvelle le concept de l’art comme autobiographie, déjà prôné par Picasso et développé sous différentes formes par des artistes comme Boltanski.

série d'araignées

La vie de Louise Bourgeois parle et me parle, car dans ses mailles, elle porte les marques du déracinement et de l’enracinement, du dé-collage, de la rupture. Ce sont des entre-deux qui font écho en moi, des lieux de passage où je me reconnais : entre deux cultures, terres ou continents ; entre deux langues ou plusieurs aussi. Dans son travail, Bourgeois privilégie les années passées en France ; l’exil fut pour elle un choc émotionnel et affectif déterminant pour son évolution artistique. Il lui donna paradoxalement l’énergie de s’investir dans une quête qui l’appuya jusqu’au dernier souffle. Si pour Colette, « renaître n’est jamais au-dessus de mes forces », Bourgeois aurait ici son mot à dire elle-même : son art, longue pratique de revisitation des affects du passé, de recréation des troubles et des ébranlements intérieurs, lui fait dire que l’art est une catharsis, que la créativité apporte un apaisement parce qu’elle permet de déplacer des pensées et des idées ; il permet aussi le jeu des analogies, des descentes dans l’inconscient ; et tout ce va-et-vient rend l’existence supportable, soutient, accompagne.. Car finalement, la force des formes, qui expriment en termes abstraits des émotions, la complexité des états d’âme et d’esprit, est salvatrice. C’est peut-être dans ce sens-là : d’une tanière, d'un refuge et d’une certaine hospitalité, que Louise Bourgeois parle de son atelier ; une bulle hors du temps, un espace protecteur où elle s’applique au « plaisir des formes », lorsque des angoisses sont domptées, apaisées.

Blooming Janus

Ce serait peut-être palper quelque chose d’un corps premier, saisir son propre corps comme sculpture, aller là où la sculpture surgit sans se couper du corps et du sensible. Penser, travailler, mais rester près de la sensorialité. Il reste que pour Louise : « La sculpture est le corps. Mon corps est ma sculpture ». 

09/08/2010

"la nuit sera calme"



J’aurais voulu que la pluie ne s’arrête plus et que la voix de Romain Gary continue. Que je l’entende encore parler avec François Bondy, ami de quarante ans, comme il le fit dans La nuit sera calme (1974). Cette voix qui dit ici ce que Gary a vu, connu, aimé, me plaît : de Churchill à de Gaulle, des héros de la France Libre aux ambassades et à Hollywood, c’est une suite d’histoires séduisantes, de rencontres intéressantes, une chevauchée de coureur d’aventure qui semble avoir vécu plusieurs vies : écrivain, diplomate, cinéaste, toujours passionné, toujours amoureux de la vie, de la féminité.



Ce que je retiens surtout, ce sont ses quêtes du romancier, du roman, de la créativité ; l’avidité presque obsessionnelle de renouvellement, de rupture, de recommencement ; l’envie de ne rien laisser passer de la vie, d’aller loin, prendre des risques, aimer l’humain avec ses forces et ses faiblesses. Pris dans ce va-et-vient perpétuel de questions et de recherches, Gary écrivit en 1965 le premier tome d’une trilogie Frère Océan, intitulé Pour Sganarelle, remarquable apologie du roman, drôle et captivante.

Ainsi est-il que sous la pluie, ses mots me tiennent compagnie…

« Le roman crée ce qui ne peut être fait. L’art [est] l’expression de tout ce qui, en nous, n’accepte pas, conteste, remet en cause, et pousse ainsi vers l’avenir, de tout ce qui en nous ne peut se contenter et cherche une plénitude que l’homme ne pourrait réaliser que s’il était sa propre création. Il ne peut se concilier avec aucune Puissance ». (Pour Sganarelle  124)


« En 1945, une de mes vies a pris fin et une autre a commencé, une autre et une autre encore, chaque fois que tu aimes, c’est une vie nouvelle qui commence, quand ton enfant vient au monde, c’est ta nouvelle vie qui commence, on ne meurt pas au passé. Je n’ai jamais vécu une vie d’ex. C’est tellement vrai que mon je ne me suffit pas comme vie, et c’est ce qui fait de moi un romancier, j’écris des romans pour aller chez les autres. Si mon je m’est souvent insupportable, ce n’est pas à cause de mes limitations et infirmités personnelles, mais à cause de celle du je humain en général. On est toujours piégé dans un je ». (La nuit sera calme 156)

« Il y a surtout créativité, parce que écrire un livre ou varier sa vie, c’est toujours de la créativité, cela veut dire se réincarner, se multiplier, se diversifier, il y a poursuite du Roman. Lorsque je reste dans ma peau trop longtemps, je me sens à l’étroit, frappé de moi-même et claustrophobique, et si pendant ce temps-là je fais un roman, ce monde que j’ai créé ainsi, je m’y installe également, pendant six ou sept mois. Si je cours alors en Polynésie, aux Seychelles ou dans l’Oregon, c’est par besoin de rupture et de renouvellement, car enfin, la sexualité est trop éphémère et fulgurante et ne te permet de rompre avec toi-même et avec du pareil au même que pendant très peu de temps… « (op. cit. 280)

« Donc en tant que romancier, j’écris pour connaître ce que je ne connais pas, pour devenir celui que je ne suis pas, jouir d’une expérience, d’une vie qui m’échappent dans la réalité ». (op. cit. 283)

**
Et lorsqu’il s’agit du bonheur, quoi de plus humain…

« F.B.  Qu’est-ce que c’était, le bonheur, pour toi ? »

« R.G. C’est lorsque j’étais couché, j’écoutais, je guettais, et puis j’entendais la clé dans la serrure, la porte qui se refermait, j’entendais les paquets qu’elle ouvrait à la cuisine, elle m’appelait pour savoir si j’étais là, je ne disais rien, je souriais, j’attendais, j’étais heureux, ça ronronnait à l’intérieur… Je me souviens très bien ». (op. cit. 316)

Et pour conclure : la nuit sera calme… et la pluie tombera.

06/08/2010

la vie en pop/The Pop Art


Le débat se poursuivra à jamais entre ceux qui voient le pop art comme une apologie de la société contemporaine et ceux qui y voient une critique. L’expo « La vie en pop. L’art dans un monde matérialiste » au Musée des Beaux-Arts du Canada m’a donné l’étrange sensation que presque n’importe quoi peut passer pour de l’art, que l’art est devenu contemporain en nous parlant de notre vie de tous les jours. Il s’agit d’une expo qui met en lumière des formes d’art ayant recours à des matériaux hétéroclites, à des objets manufacturés, des matières naturelles et périssables, et jusqu’au corps de l’artiste. Que ce soit une page de journal, une illustration publicitaire pour une cannette de petits pois, les négatifs de la série de photos de Marilyn par Andy Warhol, un poulain unicorne en formol, ou un t-shirt ‘I love Pop Art’, tout semble éveiller une certaine sensation d’étrangeté. Assez intéressant à condition de s’autoriser de jouer le jeu, d’entrer en dialogue avec l’œuvre proposée et de tenter par endroits de « performer », c’est dire d’achever ce qui le demande, d’être un peu un regardeur curieux, pas dépourvu d’humour.

The National Gallery of Canada
La définition du pop art comme art populaire me revient. Je vois le goût de la subversion de ces artistes américains qui occupent la scène à partir des années 60 ; je reconnais la mise en question de la banalité quotidienne, l’envie d’effacer les frontières entre l’art et la vie.  Je vois de même que parcourir les salles de cette expo donne à penser, secoue les clichés et me laisse un peu sur ma faim, si jamais j’étais portée à répondre à la question : quel artiste me plaît ou quelle pièce ? Autrement, ce qui est fascinant dans cette visite, c’est l’impression d’être « déplacé » ; déplacé dans un univers où rien ne se tient dans les dimensions rangées de la beauté de l’art classique ou de l’art moderne du début du XXe siècle. Le pop art bouleverse les idées sur l’imaginaire créatif, les limites de la célébrité et interroge le rapport de l’artiste aux personnalités de l’époque, aux financiers. Voilà que l’art n’est pas réservé à une élite ; et pour être artiste, il ne faut plus passer par une académie ou avoir un don particulier. Reste la question du réseau de promotion, de ceux qui entourent et soutiennent l’artiste ; le galeriste, le collectionneur, le groupe d’amis. Et cette autre question importante : à quoi tient le succès ? Qu’est-ce qui fait qu’un jeune artiste et pas un autre trouve sa voie sur l’échelle.. de l’art.

The National Gallery of Canada, "Maman" de Louise Bourgeois
La célébrité donc, la reconnaissance sociale et du public, c’est délicat. Dans cette expo, on comprend avec Jeff Koons qu’être célèbre tient, entre autres, aux plus étranges « expressions » artistiques, comme par exemple, à l’affiche du film provocateur Made in Heaven ou, par moments, à des photos pornographiques. Pourquoi pas, si cela continue d’attirer des gens et fait parler. Après tout, ce fut agréable de voir des jeunes aujourd’hui au musée.
L’expérience de la curiosité est passionnante aussi lorsqu’il s’agit de comprendre les coulisses de la création ; lorsqu'il s'agit de saisir les sources de l’œuvre d’art, son univers imaginaire, comment se réalise la production ; ou encore, d’où viennent les idées et où vont-elles ? Après tout, il y a toujours en l’homme une aspiration vers quelque chose qui le dépasse, qu’il ne comprend pas bien, mais en direction duquel toutefois, il construit des routes, et qui le pousse à maintenir l’envie de découverte vivante ; le désir de rendre une absence présente. Visiter cette expo m’a fait un peu prêter écoute à cette réalité,  histoire de croire aussi qu’il ne faut pas avoir honte d’aimer la vie moderne avec sa vaisselle en plastique et ses affiches de publicité aux couleurs criardes ; mais en revanche, la questionner, la regarder de face ;  et si on peut, l'illustrer par.. une certaine création.
Toujours dans ce musée, au deuxième étage, parmi les expos permanentes, ‘Angela Grauerholz : The Inexaustible Image’, vaut la peine de s’arrêter. A travers des grandes photos portraits de femmes, Grauerholz examine la photographie comme moyen d’expression dans sa relation avec le temps, la mémoire, les collections, l’imaginaire collectif. Elle tente de mettre en œuvre un regard porté vers l’extérieur à partir d’un espace intérieur. Pour quelques instants, elle me donna l’impression que ses photos me regardaient, m’appelaient pour me ramener à mes propres expériences du passé, pour me faire penser au passage du temps, de l’histoire collective. Intéressante manière de réfléchir au rôle de la photo dans la mesure ou elle permet d’enregistrer ce passage du temps, et à la fois, donne le sentiment d’un continuum entre le passé, le présente et l’avenir.
A la sortie de cette expo, j'aime croire que le pop art et la photographie interrogent, chacun à leur façon, une forme de transmission : de la vie, des objets, des êtres. Et par ce mirage, des choses s'inscrivent, échappent à l’éphémère... 

03/08/2010

une journée en photos


Je n’ai pas encore utilisé Twitter mais aujourd’hui, je tente de jouer le jeu : décrire une journée en photos et en parler très peu ; ne pas utiliser des phrases plus longues que 140 caractères. (voir Twitter)

Le gazouillis des oiseaux ou d’une fontaine, ou de la rivière… Otonabee ? Pourquoi pas, tant que cela donne une image d’un jour d’été dans la petite ville de Peterborough, au Canada, où je passe une partie de mon temps.

.. faire du vélo, quoi de plus beau … à moins qu’il ne fasse pas trop chaud et… humide

Peterborough Rotary Bike Trail

.. traverser la forêt, rêver, penser… être un peu dans un décor de… conte de fée

Peterborough Trent University Bike Trail

.. et pour certains, un hamburger, au bord de la route… c’est bon aussi

Lakefield Bike Trail

.. car même les oies, le soleil bas s’invitent au repos

Otonabee River, Peterborough: Canadian Loonies

.. tandis que certains s’arrêtent dans un jardin… à l’anglaise ; café, journal, à l’aise

Homewood Avenue: English Garden

.. et d’autres choisissent le Magic Rolling Pin, un autre type de jardin : magie oblige

The Magic Rolling Pin

Histoires vraies, ou moins vraies ; peu importe, imaginez ! Ce qui compte, c’est l’été. 

01/08/2010

les artistes et le théâtre


C’est une affiche qui en dit long. Drama and Desire: Artists and the Theatre, l’expo de cet été à Art Gallery of Ontario, qui se déroule jusqu’au 26 septembre, ravive la fascination de certains grands artistes du XIXe siècle pour le théâtre et ses thèmes : gloire et destruction, amour et désespoir, passion, trahison, meurtre. D’une pièce à l’autre du musée, de la salle bleue, fraîche et obscure, en passant par un hall sombre en velours, habité par des gravures autour de Salomé de Oscar Wilde, jusqu’à la petite salle blanche, remplie de plans et de maquettes des scénographes du début du XXe siècle, on est transporté dans un monde assez magique où des tableaux semblent s’ouvrir pour laisser apercevoir des scènes de Hamlet, de King Lear ou Romeo and Juliet. Pour un instant, sous nos regards, la toile des Montagues et Capulets se réconciliant sur les corps morts de leurs enfants, devient vivante, une scène au théâtre, comme si l’œil posé sur le tableau pouvait transformer l’image en espace en trois dimensions. C’est dire qu’une histoire transmise de loin, du temps de Shakespeare, passe par le pinceau de Delacroix et va encore plus loin ; elle ne cesse de créer de l’émotion, de l’émerveillement, pour générations de spectateurs.


Autrement, dans l’espace de l’exposition, les lumières, l’air qui change de froideur, des voix d’acteurs sorties des murs, récitant un poème ou des versets de Macbeth, tout cela contribue à l’ambiance théâtrale. Et c’est serein, c’est réussi ; vivant aussi, car les tableaux prennent vie, des personnages retrouvent le jeu de la scène à travers le regard du spectateur, lorsque les couleurs deviennent presque des effets de production ; tantôt un visage est lumineux, tantôt couvert de nues et d’ombre, et la figure est sombre, assombrie par la colère ou la douleur.

Pendant ce temps, dehors sur le trottoir, un dimanche vers midi, le monde, les trams sur Dundas Street, sont mis en parenthèses ; je sens cet autre monde, intérieur, un univers d’images et d’imagination. Dans des moments pareils, je m’autorise à reconnaître encore que l’art est mydriase de vies multiples. L’espace de l’expo change des dimensions sous l’aura d’une grande lanterne magique, lorsqu’un vaste ensemble de visions, de gestes et de sons, permettent d’ouvrir des pans d’existence d’un autre siècle, lointain mais tellement proche.

De fait, plusieurs salles donnent la cohérence de cette expo qui réunit des artistes de la Révolution française jusqu’à la Première Guerre. On commence avec le néo-classicisme, austère et sobre, qui rappelle la vertu et la simplicité de l’Antiquité après les excès du baroque ; suit le romantisme en Angleterre (1760-1800), avec sa tradition de collections d’estampes pour illustrer les œuvres dramatiques de Shakespeare – et William Blake (1757-1827) donc, est poète et peintre aussi ; une troisième salle expose des pièces du romantisme en France (1810-1890), surtout les lithographies d’Eugène Delacroix – sa série Faust est remarquable ; viennent après les Victoriens (1850-1890) et surtout l’histoire de la grande comédienne britannique Ellen Terry, rayonnante sur scène en Lady Macbeth, et toute aussi gracieuse dans les tableaux ou les photos de John Singer Sargent aux environs de 1889. Il y a aussi la salle bleue Edgar Degas (1860-1890), avec des scènes de ballet, des femmes d’éther et une technique picturale qui change : les coups de pinceau visibles et les images dépourvues de détails provoquent un certain choc à l’époque. Puis, le symbolisme et réalisme en Angleterre et en France (1850-1900) occupent un assez grand espace : des tableaux de Henri de Toulouse-Lautrec et Honoré Daumier captent un certain côté d’irréel, métaphorique, et montrent à la fois les coulisses des salles de spectacles, et de drôles de personnages qui incarnent l’avarice, la cupidité, l’ironie.. L’expo se termine avec la scénographie au début du XXe siècle, avec le constat toujours actuel que le monde est de plus en plus laïque, penché vers le renouvellement des techniques scéniques et picturales.. Voyons donc.

Ellen Terry as Lady Macbeth

Avoir traversé cet espace me fait penser à la transmission renouvelée par la création, aux dialogues entre les arts, aux frontières des époques qui deviennent perméables lorsqu’il s’agit de renouer – par le biais d’une bonne expo - avec un certain lieu sacré. A chacun de voir, d’imaginer, ce que sacré pourrait signifier. Pour Christian Boltanski, « l’art n’est pas pour découvrir mais pour reconnaître » (La vie possible de Christian Boltanski, Seuil 2007), ou pour se reconnaître. Ce serait aussi traverser un passage où il y a quelque chose qu’on ne peut pas tout à fait comprendre et avec quoi on joue « à reconnaître », on devine des visions, des projets, des histoires. Après tout, restent la multiplicité et la diversité qui sont remarquables dans la rencontre avec l’art.

Et lorsqu’il s’agit de réfléchir aux sens de la diversité, l’autre jour sur France Culture, dans l’émission « Un jour dans la vie de… », Daniel Sibony parlait de « la diversité animée par la rencontre ». Si la diversité, on la remarque facilement aujourd’hui dans la rue, au cinéma ou dans une salle de cours, voici qu’on nous rappelle cet autre versant intéressant : la diversité ouverte sur la surprise, diversité vivante et généreuse, qui crée des entre-deux passionnants, des événements d’être étonnants. Ainsi peut-on croire qu’« un temps qui était plié se déplie » pour faire place au jeu, à du possible, à toutes ces « rencontres »  qu'on risque souvent de presque pas dévoiler. Reste la question de la créativité de chacun pour « reconnaître » sa propre diversité, pour habiter ses êtres-plusieurs et les différents domaines qui animent l'existence ; et aussi la possibilité de trouver le langage pour exprimer ces « mondes divers ». Voilà « l’enjeu d’exister »,  dont parle Sibony (Enjeu d'exister, Seuil, 2007) ; il est précieux car il maintient vif le jeu...