27/02/2013

contre le vent

Lorsqu'après sa condamnation à mort on a demandé à Socrate s'il avait un dernier voeu, il aurait répondu : 
- Oui, j'aimerais apprendre à jouer de la flûte. 
- Mais enfin, à quoi ça peut vous servir, puisque vous allez mourir ? 
- Justement, avant de mourir, j'aurais bien aimé savoir jouer quelques notes de flûte. 
Vivre ainsi. Pas "pour" quelque chose. Ainsi. 

22/02/2013

une comptine

La comptine Doe, a deer, a female deer me revient en mémoire - une biche, un cerf, un cerf femelle - et je tente en marchant d'en réciter les autres vers, avec lesquels les enfants anglophones d'ici apprennent le dorémifasol, une chanson d'enfant qui ne m'est pas familière ; que je n'ai pas dans le sang. Je l'avais entendue pour la première fois il y a plus de dix ans à mon arrivée au Canada. Depuis... silence, sommeil quelque part dans ma mémoire, jusqu'à ce jour où je l'entends, cette comptine chanson, dans un café à Montréal.. Doe, a deer, a female deer, Ray, a drop of golden sun, Me, a name I call myself, Far a long long way to run... 

Dehors, tempête d'hiver. Vent en rafales. Temps à ne pas mettre un chat dehors. 
Je pense aux textes qui s'inscrivent dans l'espace, j'imagine les traces et les pas qui sans cesse sont recouverts par la neige. 

10/02/2013

patin et art à winnipeg

Une journée parfaite pour faire du patin à Winnipeg est souvent un peu grise : les températures remontent et le ciel se couvre de nuages. Mais peu importe, on peut sortir pour profiter d'une matinée où il fait -4 degrés, ce qui semble bien chaud par rapport aux jours de plein soleil à -25. 


Sur la rivière Assiniboine gelée en patinoire, vous êtes en pleine nature - 


Pourtant, cette patinoire reste urbaine - elle se trouve près de downtown Winnipeg, à la Fourche - intersection de la Rivière Rouge et Assiniboine.  

En outre, la compétition d'art et d'architecture sur glace, qui se déroule ici depuis la fin janvier, rappelle elle aussi qu'on est en ville, et pas dans une forêt à la campagne. L'initiative me paraît intéressante, puisqu'elle tente d'apprivoiser l'environnement et les conditions météo rudes de Winnipeg par des projets d'art. Ainsi surgit un dialogue original entre créativité, des activités en plein air, l'espace urbain et la nature. 

Voici une première création par un groupe d'artiste locaux : la "Hogge House"- "hogge" en danois signifie "chaleureux", "accueillant". La construction se veut donc un lieu d'accueil, où se chauffer un peu quand il fait très froid dehors (un jour de pêche blanche ou de patin, par exemple).  


À un autre endroit, un architecte paysagiste (landscape architect) de New York propose une habitation entourée de troncs de laine, pas d'arbre ! 
La "Woolhouse" est assez singulière.
- "A log house!", criaient les enfants... Pas tout à fait. 
On l'imagine chaude à l'intérieur. 


À un autre endroit, 100 étudiants en architecture et 6 professeurs de l'université du Manitoba ont réalisé un projet de tissage en bois, intitulé "The Weave Wave". 
Tunnel de 100 mètres sur la rivière, habitation-abri, lieu où se protéger un peu du froid, la création donne à penser l'entrelacement de l'artisanat et de l'utile. L'art est ici intégré à l'environnement et sert à s'abriter.  




Finalement, avec ces attractions artistiques et le patin, l'hiver finit par paraître moins rude, ou du moins, c'est l'impression qu'on en a ces jours-ci, où les températures sont plus clémentes. 

09/02/2013

edmund alleyn ou le détachement


Edmund Alleyn ou le détachement. Un texte de Nancy Huston sur les lavis du peintre Edmund Alleyn ; album paru en 2011 (Lémeac).

« Edmund Alleyn (Québec, 1931-Montréal, 2004) étudie à l’École des beaux-arts de Québec. Lauréat du Prix de la province du Québec en 1955, il part la même année s’installer en France, où il participe au mouvement de la Figuration narrative alors qu’il est de toutes les manifestations d’importance (Salon des réalités nouvelles, Biennale de Paris, Mythologie quotidienne 1964 et Schèmes ’66 au MAMVP, Salon de mai, Science-fiction à Berne et Paris, etc). En 1971, médaillé de bronze à la Biennale de Venise, il revient vivre au Canada ». (p. 78)

Hier soir, je me suis mise à faire une recherche sur internet, quand j’ai trouvé une vidéo où Nancy Huston parlait de deux projets de 2011 : le texte sur les larvis d’Edmund Alleyn et Démons quotidiens, livre écrit à quatre mains avec l’artiste Ralph Petty, qui presque chaque matin fait des encres sur l’actualité, les rêves, le monde intérieur... Ce qui l’intéresse, disait Huston, c’est le vertige existentiel que ces deux artistes ont dû éprouver lorsqu’ils ont changé de pays et de langue. Alleyn et Smith, anglophones comme Nancy Huston, ont viré vers le français quand ils se sont installés à Paris. Les trois ont quelque chose en commun : le bilinguisme et un penchant à saisir le monde avec un certain détachement, peut-être propre à l’étranger. Huston emploie le terme « trans-fuge » pour parler d’Edmund Alleyn : elle le « voit » comme un homme qui porte en lui l’enfant, l’adolescent, le jeune homme… un être qui a traversé beaucoup de frontières mais qui reste attaché à son pays natal. La jetée du fleuve Saint-Laurent à Kamouraska, au Québec, est un motif récurrent de son oeuvre. 

De retour au Canada en 1971, pendant trois décennies, Alleyn dessine, fait des larvis en noir et blanc, cinquante d’entre eux étant réunis dans le portofolio d’Edmund Alleyn et le détachement. Dans ces larvis, pas d’être humain, sinon une série de représentations de singes, de quoi rappeler notre part d'animalité... En revanche, les toiles sont peuplées d’objets, de meubles, de collages, où on distingue parfois un portrait de Freud ou de Proust… L’ambiance en est mélancolique, suspendue dans un hors-temps, lorsque les topos du flottement et du miroitement semblent prédominants. 

Plus je tournais les pages, plus j’avais l’impression de descendre dans cet état de vacillement propice à la pensée et à l’imaginaire, qui a dû habiter Edmund Alleyn lorsqu’il travaillait sur ces projets.

À la fin de l'album, sur la quatrième de couverture, on lit un bref dialogue inventé par Nancy Huston entre Edmund Alleyn et sa petite fille :

« Mais tu fais quoi ? 
Je travaille.
Mais c’est quoi, ton travail ?
Mon travail, c’est de peindre, c’est-à-dire de capter…
ou d’essayer de capter…un peu de… cela.
Cette beauté… qui aurait pu être… si nous avions su…. »

Par-delà la tendresse du lien père-fille, ces mots en disent long sur l’impossibilité du langage à traduire l’art. L’art parle pour lui-même, dit-on. Alleyn ne contredit pas le dicton.

Pourtant, le texte de Huston est poignant, car il raconte l’histoire du peintre comme si c’était un personnage de fiction, et que sa vie faisait la trame d'un roman. L'écrivaine n’a pas connu Edmund Alleyn de son vivant, mais en la lisant, on est convaincu qu’elle est entrée dans l’univers du peintre, qu'elle le « connaît » par la sensibilité et la justesse des mots. Ce qu’elle nous livre ici n’est pas une simple biographie, soit un récit qui contextualise les larvis, mais un coup de cœur : le récit d’une écrivaine séduite par l’imaginaire d’un peintre. 

Edmund Alleyn aurait peut-être aimé rencontrer Nancy Huston. Qui sait ?
Ce qui est sûr, c’est que le projet de l'album illustre la force de l’art à créer des rencontres, et aussi, la magie de la rencontre quand il s’agit de la création de l’art. 



07/02/2013

"stories we tell"


Stories We Tell est le dernier documentaire autobiographique de Sarah Polley, qui passe en ce moment à Winnipeg. C’est l’histoire de la vie d'une mère disparue, Diane Polley, que la fille tente de saisir à travers des interviews avec les membres de la famille : mari, frères et sœurs et quelques amis proches. Mais cette histoire n’est pas facile à raconter, les souvenirs échappent aux mots, et très vite on s’aperçoit que la femme dont on parle est complexe, multiple et mystérieuse. Son mystère est nourri par ce qui se détache comme le secret de sa vie : Sarah, la dernière fille, est née d’une aventure extraconjugale et l’homme qu’elle appelle père depuis toujours, n’est pas son père biologique. Cet homme, qui est aussi le mari de Diane, apprendra la vérité en même temps que Sarah : en 2007. Diane n’est plus là, morte d’un cancer, Sarah a alors 27 ans.

Le mystère se dissipe donc. La tension dramatique s’allège, et on est presque surpris de constater qu’il n’y a pas de ressentiment vis-à-vis de ce non-dit essentiel. S'en dégagent pourtant une onde de mélancolie, un flottement et le silence qui fait monter des larmes dans les yeux d’un fils, d’une fille qui réalise peut-être davantage le leurre dans lequel ils ont vécu une partie de leur existence. À tour de rôle, les personnes interviewées avouent ce qu’elles savaient, avancent des hypothèses : comment aurait été notre vie si on avait su ?, s’interrogent, réfléchissent, imaginent a posteori ce qu’avait été la vie de cette femme en apparence extrovertie, ouverte, mais qui au fond, était autre. 

Bref, Stories We Tell pourrait être un documentaire où vérifier que l’identification projective fonctionne. Comment ne pas penser à sa propre histoire, à l’histoire de sa mère, de sa famille, en regardant ? Comment ne pas penser qu’il y a une part de mystère là où on croit être dans la lumière ? Finalement, je crois avoir aimé Stories We Tell parce qu’il donne l’impression presque palpable qu’il y a quelque chose de commun entre les forces et les faiblesses de l’être humain, et qu’on peut en faire quelque chose. Le cinéma, comme la littérature, devient alors le lieu d’accueil des histoires les plus inattendues, cet espace de partage qui nous permet de nous sentir moins seuls, et peut-être, de mettre en perspective notre existence. 


03/02/2013

the groundhog day


The groundhog day (le jour de la marmotte) n’existe pas vraiment au Manitoba. Avec l’hiver rude et les températures qui descendent souvent sous -20, le cocasse animal est en hibernation. Il n’y a pas moyen de le voir sortir de sa tanière au début février pour prévoir – comme le veut la tradition populaire – si l’hiver s’achèvera ou pas dans les prochaines six semaines. Selon la tradition, si la marmotte ne voit pas son ombre, le printemps approche, il sera là dans les semaines à venir. Ce n’est pas le cas au Manitoba où certes, l’hiver continuera encore au moins six semaines… Pourtant, dans la campagne manitobaine, les gens ne semblent pas manquer de créativité : à une ferme, ils ont remplacé la vraie marmotte avec une peluche pour mettre en scène... sa sortie. Bref, cet acte de théâtre de marionnettes, comme le note the Winnipeg Free Press, se veut un petit clin d'oeil à groundhog day. De quoi ne pas l'oublier.