19/04/2010

la ville


J’aime les matinées fraîches de printemps quand dans un Starbucks, je me fais du temps pour feuilleter le Globe and Mail ou lire. Sur la première page du journal, grande photo du volcan islandais et une statistique des aéroports qui continuent d’être fermés en Europe. Dès l’aube aujourd’hui, en plus, des vols canadiens annulés en direction de l’est, des Maritimes. Le nuage de cendres se dirige vers le continent américain. Voilà comment la force de la nature remet l’humanité à sa place, elle boulverse les habitudes, les vacances, les gestes qu’on prend pour aquis. Elle fait penser au temps, au temps qu’il fait, au temps qu’il faut… Vitesse ou lenteur ? Agir ou réagir ? Entre actions, contradictions et réactions de toutes sortes, comment faire pour prendre son temps, se poser, respirer.. se reposer si on peut…

Le dernier essai de Régine Robin, Mégapolis (Stock, 2009) me plaît. Cette femme amoureuse de la grande ville m’apprend à regarder la mégapole avec les yeux du flâneur, me fait goûter la déambulation, la promenade lente dans des ruelles inconnues, dans des venelles. Je la suis dans ses périples d’un bout à l’autre de la terre : de New York, à Los Angeles, de Tokyo à Londres et Berlin, et je découvre des villes lisses, dynamiques, rhizomatiques, des espaces vibrantes, poétiques, accueillantes ou fermées, détestées par la norme, aimées pour leur singularité. C’est la voix singulière de Robin qui séduit, son regard subjectif, la ville qui l’habite et qu’elle trasmet par-delà le simple voyage, à travers des lectures, des films ou des rencontres avec des écrivains, artistes, des personnes intéressantes. Ses balades urbaines sont aussi des voyages entre imaginaire, littérature et cinéma. C’est en pensant à elle, à sa poétique, que je tente de regarder Toronto autrement. Je pourrais même arriver à aimer cette ville, à l’approvoiser, à lui trouver son étrangeté familière. Alors, je comprendais, je crois, ces mots de Proust pour qui, le “vrai voyage de découverte n’est pas nécessairement chercher des nouveaux paysages, mais avoir des yeux neufs”. 

Chloe (2009), le film de Atom Egoyan se passe à Toronto. La ville apparaît en pleine lumière, sans dissimulation, on reconnaît des rues, des restaurants, Allan Gardens, le ROM, le Conservatoire de Musique, le Yorkville. Et c’est bon d’éprouver ce sentiment de familiarité, de se dire : “c’est où ? j’ai reconnu…”. Pour ce qui est de l’histoire, il s’agit d’une affaire urbaine, d’un milieu aisé : la femme médecin d’un professeur des universités paie une prostituée de luxe pour vérifier la fidelité. La trame se déplie et on reconnaît Egoyan dans les surprises de la séduction, dans les imbrications lesbiennes de la passion, dans la tension psychologique, mais aussi dans la fin ouverte, qui joue sur l’ambiguité, sur l’entre-deux. Des funérailles ou la fête de graduation du fils qui finit ses études ? Pour un instant, on se dit que les limousines, les invités à quatre épingles… pourraient être là pour une occasion ou l’autre.

Survol de la ville, balade aérienne, le documentaire de Frederick Wiseman, La danse. Le Ballet de l’Opéra de Paris me fait encore rêver des toits de Paris. Depuis Le vol du ballon rouge, je n’avais plus vu de si belles prises d’avion du panorama de Paris dans l’alternance de la lumière et de l’ombre, à l’aube et au crépuscule. Paris doré en été, Paris endormi sous une fine couche de neige ne cesse de déployer son mystère, son aura attachante. J’ai aimé ce film qui m’a fait remonter le temps de mon enfance à l’époque où moi-même, j’avais commencé à prendre des leçons de ballet. Pour plus de deux heures au long du film, je fus présente, curieuse, attentive aux moindres gestes et mouvements des danceurs. Proche et distante, sur les ailes des images, des scènes, j’ai retrouvé quelque chose de la perseverance du travail, de la rigueur de la pratique, j’ai eu un sens des limites du corps et de l’esprit. Et surtout, je fus consciente de l’importance de ce cheminement de vie, de performance, de devenir-artiste.

Et qui ne saurait que toutes ces choses se passent et passent dans l’oeuvre d’art ; elles sont possibles dans les villes, les grandes .. 

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