L’imprévu est ce qui arrive : la
maladie des parents, vous êtes enceinte, vous êtes prise dans un accident de
taxi. La rencontre est ce qui vous fait vibrer : l’amour, l’espoir, la
joie. De purs événements. Comment accueillir cela en soi ? Les enfants le
savent, d’instinct. Proust consignait dans de petits carnets les choses les
plus diverses, mais à la manière d’un compositeur qui établit une hiérarchie
secrète entre les sons en les disposant sur une portée. C’est cet ordre secret
qui fait se tenir ensemble les éléments éparpillés de notre perception, les
minuscules événements du quotidien soudain éclairés, rétrospectivement par un
mot raturé, presque illisible. L’écriture rejoint la matière même du vivant
qu’ainsi elle abrite, acceptant de ce vivant qu’il fasse continuellement
effraction en elle – du moins dans la littérature. Tout ce qui se sédimente en nous
veut estomper ce rappel que nous sommes mortels et voués ainsi, à
l’imprévisible de la mort (la face obscure, angoissante de l’inconnu). Les
émotions ainsi recouvertes en plâtre, non pensées, atrophiées, ne viennent plus
déranger le cours de notre imaginaire en risquant de nous ramener vers cette tristesse
ancienne, irrésolue. La sédimentation est le génie du temps qui passe, on se
rend parfois complice d’une étrange machination qui préfère au vivant la demi-mort et à
l’amour une sorte de gelée des sentiments.
Comment nommer cette part sauvage de
nous qui résiste à toute forme de lien, qui se défait et se détache alors
même que l’amour la porte ? La solitude nous rappelle notre mort, cette
inconcevable fin de soi et de tous les autres pour nous à cet instant. Dans ce
retrait qu’on appelle être seule, n’est-ce pas un peu le commencement de cette
mort qu’on cherche, comme si cela pouvait ne pas être grave mais juste
s’éprouver ainsi de manière légère, grisante – une mort désarmée dont nous
garderions seulement un peu le goût secret.
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