28/03/2013

ce qui arrive



L’imprévu est ce qui arrive : la maladie des parents, vous êtes enceinte, vous êtes prise dans un accident de taxi. La rencontre est ce qui vous fait vibrer : l’amour, l’espoir, la joie. De purs événements. Comment accueillir cela en soi ? Les enfants le savent, d’instinct. Proust consignait dans de petits carnets les choses les plus diverses, mais à la manière d’un compositeur qui établit une hiérarchie secrète entre les sons en les disposant sur une portée. C’est cet ordre secret qui fait se tenir ensemble les éléments éparpillés de notre perception, les minuscules événements du quotidien soudain éclairés, rétrospectivement par un mot raturé, presque illisible. L’écriture rejoint la matière même du vivant qu’ainsi elle abrite, acceptant de ce vivant qu’il fasse continuellement effraction en elle – du moins dans la littérature. Tout ce qui se sédimente en nous veut estomper ce rappel que nous sommes mortels et voués ainsi, à l’imprévisible de la mort (la face obscure, angoissante de l’inconnu). Les émotions ainsi recouvertes en plâtre, non pensées, atrophiées, ne viennent plus déranger le cours de notre imaginaire en risquant de nous ramener vers cette tristesse ancienne, irrésolue. La sédimentation est le génie du temps qui passe, on se rend parfois complice d’une étrange machination qui préfère au vivant la demi-mort et à l’amour une sorte de gelée des sentiments.

Comment nommer cette part sauvage de nous qui résiste à toute forme de lien, qui se défait et se détache alors même que l’amour la porte ? La solitude nous rappelle notre mort, cette inconcevable fin de soi et de tous les autres pour nous à cet instant. Dans ce retrait qu’on appelle être seule, n’est-ce pas un peu le commencement de cette mort qu’on cherche, comme si cela pouvait ne pas être grave mais juste s’éprouver ainsi de manière légère, grisante – une mort désarmée dont nous garderions seulement un peu le goût secret. 

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