26/03/2013

derrida sur l'amour


Imaginons : vous êtes étudiante à New York University et vous avez l’occasion d’assister à une conférence de Jacques Derrida. Vous lui parlez et lui proposez de faire un documentaire sur lui, sur son œuvre (Derrida, 2002, film réalisé par Amy Ziering Kofman et Kirby Dick). Il accepte. Le projet est  prévu pour durer un mois. 

Pendant un mois donc, vous filmez Jacques Derrida chez lui, dans la rue, à l’université, à Paris, à New York, avec sa femme, avec des étudiants ou des amis. Vous captez des scènes du quotidien familial et de la vie publique : conférences, enseignement, réceptions, lancements de livre. L’image que vous en donnez est celle d’un philosophe qui est aussi un homme ordinaire ; abordable, simple, sympathique, parfois grincheux. Parmi les questions que vous tentez d’aborder, l’amour revient trois fois : vous souhaitez savoir comment Jacques Derrida a rencontré sa femme Marguerite, aujourd'hui psychanalyste ; vous l’interrogez sur l’amour envers sa mère et son père à partir du texte L’oreille de l’autre ; et troisièmement, vous lui posez une question qu'il trouve beaucoup trop vaste, et à laquelle il n'est pas prêt à répondre de manière directe : pourquoi depuis toujours les philosophes se sont-ils intéressés à l’amour ? Silence.. Silence. 

Puis, soudain, il prend cette dernière question par ailleurs. Au fond, enchaîne Derrida, il faudrait d'emblée réfléchir au qui et au quoi par rapport à l’amour. C’est dire, s'interroger plutôt : quand on aime, quand on est amoureux, est-ce qu’on aime quelqu’un (le qui) ? Ou bien, aime-t-on quelque chose (le quoi) en quelqu’un, dont on est amoureux ? L’intelligence, la beauté, la joie, le rire… Toutes ces « choses » sont importantes, surtout dans un premier temps, lors de la séduction. Après tout, poursuit Derrida, ce qui est intéressant à élucider est la distinction entre aimer quelqu’un pour sa singularité absolue (aimer qui il ou elle est, sans condition), et aimer les qualités de quelqu’un (le quelque chose en quelqu’un). Pourquoi serait-ce intéressant ? Parce que cela contribue à donner du sens à l’infidélité à l'amour, quand elle arrive ; à la rupture. 

Le scénario de la déception est connu : après la belle période de séduction, se glisse le désenchantement, lorsque les qualités qu’on soupçonnait dans l’autre aimé ne correspondent pas ou plus aux attentes. D'ordinaire, à ce moment-là, feu vert à la rupture, à l’interruption. Pourtant, Derrida reste confiant sur ce point : il y a aussi ceux et celles qui se questionnent sur le sens de la singularité absolue dans le lien d’amour. La balance penche alors du côté du qui. Simplement. 


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