Au début on ne sait rien. On ne voit rien.
On a l’impression que c’est fini. Qu’on ne pourra jamais reprendre,
recommencer, suivre une nouvelle voie, tracer une nouvelle piste. Cette
fois-ci, on est allée au bout. On a fait ce qu’on a pu faire. Le travail est
accompli. On éprouve quelque chose de mélangé : soulagement et tristesse. On peut se contenter d’observer l’horizon sans essayer de le plier à
son envie de dire. On peut l’appréhender dans sa présence insensée. On peut. On
doit. On a le droit. On a le droit, après l’effort, de se poser, se re-poser. Même si
c’est difficile. On découvre que le repos exige de soi un tel abandon, une
telle certitude, une telle assurance, on n’y arrive pas. Bien qu’on se le
répète : on a fait ce qu’on a pu faire, c’est bel et bien fini, on est
allée au bout. On ne peut nier, pourtant, qu’il y a une inquiétude qui
vacille à l’intérieur de soi. On accepte l’idée, mais elle pique…. Elle
vient se loger comme une aiguille dans des replis inconnus. On s’arrange pour
ne plus réveiller la douleur même si on sait qu'elle est là. On
imagine les herbes pousser au printemps, les bourgeons éclater, et on se
contente de ça. On s'imagine heureuse. Il n’y a plus rien à ajouter. On se contente d’être
témoin. On témoigne en silence. Mais de temps à autre, on vérifie que
l’aiguille a gardé sa place et quand on ne trouve pas exactement le geste qui
réveille la douleur, on le cherche et on l’appelle et on multiplie les
exercices afin de sentir encore son pincement, sa brûlure.
Alors, on s’offre une petite idée de
départ, un petit sujet, pour tenir l’inquiétude un peu à l'écart sans perdre complètement les joies qu’elle procure. On n’y parvient pas tout de
suite, on fouille, on plonge. Ce n’est pas assez. Tant qu’on se retient, cela
ne se produira pas, on le devine mais on se retient quand même, on essaye
d’atteindre l’aiguillon et le plaisir sans devoir succomber à la succession
d’angoisse et de doute qui l’accompagnent. On veut les joies de l’excitation
sans les revers qui la suivent. On tourne autour de soi, de son envie, on ne
trouve pas comment creuser la voie, comment s’immerger complètement, on craint
de se noyer, de ne pas s’en sortir.
Et puis un jour, presque par hasard, on entre
dans le vif. On se retrouve pieds, bras, épaules à l’intérieur, on ne sait pas
comment on a fait, on était autour et puis brusquement une fissure, on y est.
C’est la piqûre et c’est autre chose que la piqûre, cela prend des formes qu’on
ne soupçonnait pas, comme un bain parfumé et dangereux, on nage et en même
temps on coule. On est sur le point de sombrer comme si une grande vague devant
soi menaçait de tout engloutir. Malgré tout, on a l’impression que ça va
s’interrompre. La vague reste là, au-dessus, comme une terrible menace. On a le
cœur qui se soulève très haut puis qui tombe. On a peur. On ne peut rester en
place. On s’affole. On entre dedans. On accepte le risque. La peur est encore
là mais elle devient une aide. On ignore d’où elle vient, ce qu’elle signifie,
mais cette peur-là, mêlée à l’ignorance de ce vers quoi on se dirige, et la
vibration nouvelle qu’on acquiert en y allant, tout cela marque le
commencement, le commencement de quelque chose.
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