Lorsque récemment, j’ai relu des pages du Ciel de Bay City de Catherine
Mavrikakis, il m’est apparu évident que ce que l'écrivaine voulait montrer (s’il est
possible de montrer quelque chose) dans ce roman, c’est que la Shoah avait
aussi été vécue là-bas, à Bay City, dans un bled de Michigan dans les années
soixante, par une jeune fille qui n’a jamais mis les pieds ni en Europe ni en
Israël. Dans le ciel de l’Amérique, au Michigan ou en Oregon, flottent encore
de gros nuages mauves venus d’Auschwitz, prêts à déverser des pluies de
larmes.
Je m’aperçois aujourd’hui qu’un des messages du livre serait que la Shoah n’avait pas pour seul Mémorial l’État d’Israël,
et que le sous-sol d’une maison au Michigan était aussi un monument aux morts.
Tout l’Occident, toute l’Amérique portent en eux quelque chose de l’horreur de
la Shoah et des autres holocaustes de ce monde. Au fil des pages, il me semble saisir désormais que certains de nos actes, certains de nos gestes, ici, loin de
« là-bas », loin de Pologne, loin d’Israël, étaient conditionnés – et
continuent d’être conditionnés – par le souvenir et aussi par le travail de
l’oubli inscrit à même nos corps. Nous sommes, que nous le voulions ou non, des
héritiers fous de la Shoah, souvent embarrassés de ce legs que nous ne savons
que répéter, sans le voir, tellement nous sommes occupés à en dire l’unicité,
la singularité.
Il y a quelques mois, j’ai assisté à un
colloque sur les droits de l'homme à Winnipeg – et durant une table ronde avec
des représentants du futur Musée canadien des droits de la personne (dont
l’ouverture est prévue à Winnipeg en 2014), un conférencier racontait avec
beaucoup d’émotion comment la galerie consacrée à la Shoah est la plus
controversée, en faisant référence explicite à l’unicité de l’événement. Des
voix se sont vite levées pour parler des Arméniens, des Ukrainiens, des peuples
indigènes au Canada, qui, à leur tour, ont connu des holocaustes. Faudrait-il condamner ces gens qui ont pensé à d’autres
morts ? La Shoah est, selon plusieurs, unique, irreprésentable, et n’appellerait
aucune comparaison ; demanderait le silence. Malgré le débat vif, les dits et contredits de ce jour-là, une question me revient toujours :
comment accompagner les représentations de ces terribles vécus, les souvenirs, l'héritage... ?
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