11/06/2011

natural magick

Quelle est « la langue des écrivains » ? Je choisis de penser à cette question à travers une métaphore ;  une métaphore assez banale : disons qu’écrire ressemble à faire la cuisine… mais sans recette. Ce qui est un projet assez délirant. On se propose d’embarquer dans la préparation de mets extraordinaires et on n’a pas la moindre idée de comment on va faire pour trouver les ingrédients, les couper, les mouliner, dans quelles proportions les mélanger, les faire cuire pour combien de temps… On se lance, on s’isole, on a le cœur qui bat tant on a envie que ça soit bon, parfois on y va franchement sans trop penser, mais ensuite vient le moment où il faut goûter, et on goûte, et souvent, très souvent, on trouve que ce n’est pas ça, pas du tout ce qu’on voulait faire, c’est même repoussant, on panique, on ne sait pas si on va y arriver… on jette à la poubelle, on recommence, on attend…

Non, au fond, ce n’est pas la bonne métaphore. Parce que ce qui manque en tout cela, est la magie. Ce que nous cherchons – beaucoup le savent – c’est un grain de magie. Il faut que le repas soit non seulement délicieux, mais qu’à force d’ajouter et d’essayer, on parvienne à une concoction surnaturelle, une potion étourdissante qui produise chez les invités, chez les lecteurs ou les victimes, des effets forts, physiques, métaphysiques, éclats de rire, battements de cœur, illumination, assombrissement du cœur. C’est toujours, oui, comme essayer de faire de la magie. Mais sans recette.

Dans le spectacle Natural Magick produit par David Ben pour le festival Luminato de Toronto (du 10 au 19 juin 2011), les procédés et les variations de cette « cuisine » varient incroyablement d’une scène à l’autre, d’une période historique à l’autre, d’un magicien américain, asiatique ou européen, au point que je me retrouve téléportée dans un univers étrange et étranger où je m’inquiète au sujet de mon « identité » (ne serais-je duplice ? schizoïde ?), et que le plus grand apaisement qu’on puisse m’apporter est de me faire croire que je ne suis pas la seule à ne pas saisir les blagues en anglais, les trucs, the tricks and tweets.

Ce que je cherche dans ce spectacle – tout comme dans une page écrite ou lue – est une musique. Tout ce que ma tête charrie pendant le temps de la performance – images, voix, bribes d’idées – passe par la recherche d’une musique qui est censée me séduire, me rendre présente là, dans l’instant même où la scène se déroule. Je ne sais toujours pas comment cela se produit en moi. À plusieurs endroits, le spectacle Natural Magick  a fait vibrer ma curiosité, surtout lors de la magie des tasses, du vol ensorcelé des papillons de papier, ou pendant les histoires sur le magicien Houdini. Pour ce spectacle particulier, il s’agissait de musique au sens propre : dès l’ouverture du show, les chansons d’un film projeté en arrière-fond, remplissaient ma tête, et j’avais l’impression que je devais les comprendre, décoder leurs paroles comme autant de paroles clignotantes, deviner comment l’apparition de l’acteur sur scène allait se présenter. La chanson arrêtée, ce fut là le déclic : avant que le décor ne change, je savais que ce spectacle serait raconté à plusieurs voix, une sorte de polyphonie ensorcelante qu’un seul homme – car il est question d’un one-man-show – allait tenir. Ce serait un chant fervent, ondulé, modulé sur l’idée de d’infinité des jeux de la magie, lié aussi à l’idée du pouvoir magique de l’artiste, au charme et à l’étrangeté du souffle qui porte le texte ; retrouvailles avec les racines du mot inspiration, magie inspirée ; oui, ça soufflait, ça chantait, s’ajoutant, s’accumulant – et je suis sortie du théâtre avec cette voix résonante, comme si le texte continuait de se lire à haute voix.

Je me dis alors que c’est la musique, la magie : élément catalyseur qui transforme, intégralement et brusquement, tous les ingrédients hétéroclites, tout le bric-à-brac invraisemblable dont je parlais au début, et qu’on a recueilli en vue de cette cuisine : observations sur le vif, influences artistiques, impressions, expériences amoureuses entendues ou rêvés, visages et voix… Oui, tout cela est indispensable, tout cela est rien sans la musique.

Je ne sais d’où elle vient. Je voudrais seulement qu’elle continue de me chanter ; qu’elle ne s’arrête pas. Car ce sont des instants fragiles : à la fin de chaque page écrite, menace le silence terrifiant que l’on redoute, toujours, définitif.

Et puis, à l’horizon, se mettent à bruisser quelques notes éparses.

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