23/01/2013

la gratitude

Je voudrais vous entretenir en quelques lignes sur une valeur sous-estimée pour ne pas dire décriée sous nos cieux : la gratitude. Pour dire les choses simplement : on ne peut pas s'efforcer d'être heureux mais on peut s'efforcer d'être reconnaissant. Or, voici ce que je constate : plus on est riche, moins on est généreux. Plus on a de la chance, plus on est ingrat. Plus la vie vous couvre de cadeaux et de bienveillance, plus on lui crache dessus. Plus on est puissant (et l'on ne peut devenir puissant que grâce aux autres), plus on se vante de n'avoir besoin de personne... Paradoxalement, en Occident, on vit chez les parents jusqu'à 30 ans et plus, et dans ce même Occident, on prône avec audace le mythe de l'autosuffisance.

Un événement m'a frappée aujourd'hui. Une étudiante de quatrième année, vive et souriante, qui avait passé clopin-clopant un cours de littérature française l'automne dernier, avec une note pas tout à fait honorable, me parle de son ambition de faire un doctorat en études françaises, spécialisation littérature contemporaine. Du haut de sa vingtaine, elle m'assure qu'elle va réussir, qu'elle a déjà un projet, qu'elle a regardé des universités où elle pourrait aller etc. Elle parle, dit, raconte avec enthousiasme, comme s'il s'agissait d'une étudiante brillante, passionnée, extraordinaire, qui n'a jamais eu de mal avec la lecture, ni les essais, ni la présence en classe... Bon. Maintenant se pose une question assez délicate, une question éthique : est-ce que je vais la faire descendre sur terre en lui laissant comprendre qu'il faudrait peut-être penser un peu plus sereinement à ce projet ? Lui faire voir "la réalité" ou la laisser dans son rêve ? Pas évident... J'avoue que sur le coup, j'ai eu du mal à mettre le doigt sur le mot juste. Lui dire quoi ? Comment ? L'empêcher de poursuivre son.. rêve ? Silence, puis elle me demande : "Pourriez-vous me donner une lettre de recommandation ?". J'étais désormais couverte, tirée d'affaire. Vous imaginez ce que j'ai eu à lui répondre. Et vous imaginez peut-être aussi sa réaction à la sortie de mon bureau : révolte, regard fermé, "incompréhension". Pourquoi ? Il est évident que cette jeune fille se croyait toute puissante, autosuffisante, elle n'avait pas besoin de mon conseil ; ce qu'il lui fallait c'était "la lettre". Simplement. Sans penser que pour faire des études de lettres, il faut plus qu'une lettre de recommandation. 

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