25/02/2010

un instant mémorable



Il y a des phrases lues à la hâte, qui parviennent à soutenir la pensée d’une journée. Ce sont ces mots de Margaret Wente dans un article sur les Jeux Olympiques du Globe and Mail : ‘What Canadians will remember is not how many athletes won the podium. It’s how they won our hearts’, qui m’ont donné à entendre le pouvoir de l’émotion, la force du souvenir affectif, lorsqu’il s’agit de transmettre la mémoire d’un événement. Car, après tout, et heureusement, ce ne sont pas autant les faits, les nombres et les statistiques que nous fournissent les médias, qui entrent seuls en jeu dans la transmission d’un instant mémorable de la petite ou de la grande Histoire. De mon enfance, ce sont surtout des voix, des brins de mots et des visages qui me font palper quelque chose du mystère du passé. À l’instar de la madeleine de Proust, je croise des regards familiers et des odeurs que je connais ou reconnais, et qui me rendent la force et la fragilité d’une rencontre, le merveilleux d’un voyage ou la couleur du ciel avant l’orage. Une question m’apparaît alors essentielle : comment se vit un héritage, une dette artistique ou intellectuelle ou sportive ? Pour être à la hauteur d’un événement ne doit-on pas au lieu de nous laisser émerveillés, plutôt le faire travailler à produire autre chose, jouer avec lui pour le garder vivant ? La vie elle-même nous demande sans cesse d’être à la hauteur de ses événements, et d’une certaine façon, de faire travail de création pour illuminer les fantômes qui nous habitent, ou tisser du sens avec des émotions contradictoires et prêter mots aux faits qui nous traversent. Ce n’est pas une mince affaire. Car, donner sens à l’existence veut aussi dire avoir le courage de se lancer dans l’aventure de ce que l’on ignore savoir, tenter l’écriture, raconter des histoires. Répondre à l’appel de l’inédit, de l’infigurable, du moment mémorable.

Il y a après ces journées où dans un cours de littérature, je réfléchis aux sens de la lecture, à la mémoire d’un livre, à ce qu’on va finir par retenir. Je le constate souvent, l’identification avec un personnage, une scène ou un décor représente la plupart du temps la clé d’accès au texte, comme si aller plus loin, creuser en profondeur, devenait du coup périlleux, hermétique. Car, pour de vrai, parler d’affect, penser l’affect n’est pas toujours donné. Pour certains, les aventures du récit, la trame narrative et le monde du visible séduisent suffisamment pour qu’ils oublient de poursuivre cette pointe aigue et autant frêle, où la voix-voie de l’invisible et l’infini du langage se donnent à lire de travers. Comment ignorer que le récit permet une rencontre bouleversante, il déplace, ouvre un espace d’entente, un lieu de négociation, un lien d'amour ou de colère ? Cette étrange déambulation permet de se souvenir de ce qu’on ne sait pas, de ce qu’on croyait ne pas savoir, et d’apprendre à rêver, et à penser. ‘Everything is complicated. Celebrate it! Revel in it!’ soutenait le poète Wallace Stevens. Autrement dit, ne craignez pas la folie du monde et du texte. Les complications vont vous illuminer, vous amuser, vous faire parler. C’est seulement à partir de ce moment mémorable de naissance et de réactualisation de la parole sous la forme d’une narration explicite que la vie prend sens et le sens vie..

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