23/08/2011

rêve

Rêve d’une rare netteté dans lequel je dis : « il est presque toujours faux qu’on ne puisse vivre sans quelqu’un ». On était sûrs, A. et moi, de ne pouvoir vivre l’un sans l’autre – je me souviens comme mon âme mourait de faim si je devais passer plus d’un jour ou deux sans entendre au moins sa voix au téléphone – et voyez ça : près de sept ans que je n’ai plus de ses nouvelles, et on continue tous deux à se battre pour notre brillante carrière.
(Cela m’est intolérable, comment les gens font-ils pour le tolérer ?)

Quand on s’était rencontrés à la conférence d’Amsterdam, littéraires et l’un et l’autre, il s’était produit cette chose inouïe, sans précédent : la fusion du corps et de l’esprit. Ces divisions n’avaient plus d’importance, plus de sens. Ainsi, tu m’aimes pour mon corps ? Mais c’est magnifique ! Ainsi tu m’aimes pour mon esprit ? Mais c’est extraordinaire ! Ainsi, tu es prête à faire l’amour avec moi parce que tu as lu mon livre ? Tu trouves que ma beauté dénote assez d’intelligence pour justifier ton intérêt spirituel ? Tout cela miraculeusement mélangé. Qu’on essaie d’être ensemble était juste : c’était aussi simple que ça.

On parlait, on flânait, on lisait à haute voix les journaux et des poèmes. Oui, quand on tombe amoureux, la réalité devient d’une beauté ineffable, la surface de la terre est irisée, comme si on la voyait à travers des larmes de bonheur, et on est convaincu que l’amour viendra à bout de tous les obstacles… Bras dessus, bras dessous, on marchait ensemble à Amsterdam, et même les quartiers industriels les plus hideux étaient gracieux, à la hauteur de l’immensité de notre cœur, ce lien entre nous qui semblait presqu’un lien de sang ; oui, c’est sans doute A. qui, de tous les hommes que j’ai connus, a le mieux incarné mon frère jumeau perdu…

Après notre séparation à l’aéroport, il était avec moi en permanence. Il m’habitait, m’accompagnait, invisible mais présent, je regardais le monde à travers ses yeux et du coup, j’aimais mieux ma vie, moi-même, voire mon mari ; savoir que A. existait sous le même soleil que moi, donnait à chacun de mes gestes un sens supplémentaire… J’étais plus courageuse chez le dentiste, capable de supporter la douleur grâce à l’aura de cet homme qui flottait dans la pièce, m’aimant. Mon enseignement de même s’améliora parce que je parlais plus fort pour son oreille absente, et que ses yeux m’encourageaient. L’idée de A. a réellement changé mon existence.

J’étais convaincue que cet arrangement était indestructible et que ma vie était enfin sur les rails, que rien, désormais, ne pourrait éclater ni s’effondrer, que j’allais pouvoir traverser tous les passages.

Je suis en train de transformer cette histoire en blague alors que ce qui est arrivé est tout sauf drôle.
J’ai perdu A.
On vécut encore un an ensemble entre voyages et rencontres furtives, entre l’Amérique et l’Europe, au cours de laquelle – par obstination ? colère ? sadisme ? masochisme ? – pour finir, on dut admettre que c’était sans espoir.
Comment aurais-je soupçonné après des jours et jours d’exaltation, après les rêves qui devenaient si facilement réalité et me faisaient pousser des ailes, comment aurais-je imaginé que l’être amoureux est en fait un miracle très fragile, susceptible de se faner comme une violette, de se réduire à rien, à pire que rien : une pauvre ombre triste, un fantôme sans plus de volonté qu’une méduse échouée sur la plage…

Comme j’ai pleuré !
… Et j’ai dû me relever, bien sûr.

Totalement défaite, dégonflée, à plat. 

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