29/03/2012

écrire

Quelque part au milieu de tout ça, il y avait l’amour, qui sauve ou qui perd, qui justifie les mesquineries les plus atroces. Je me demandais qu’est-ce qui faisait que les amours me semblaient différentes les unes des autres, comme les saisons, les cieux des villes, les couleurs des façades, et je ne pouvais trouver de réponse précise. Peut-être, parce que je n’étais jamais tombée amoureuse de quelqu’un qui était « fait » pour moi, et je ne voyais pas très clairement comment cela pouvait se passer. Je savais déjà qu’être amoureuse allait me remplir d’une sorte d’intensité diabolique, une fulgurance qui heurte et chute à la tombée du soir ; une vibration qui est là comme une promesse. Je crois à la partialité, aux choses qui m’arrivent, s’en vont et reviennent, un peu comme chez Proust, parfois avec une violence inouïe. La voix de Marguerite Duras dans certaines vidéos de l’Ina me fait cet effet de violence lorsqu'elle parle de quête de vérité du sentiment et du mot. En écrivant elle se voit comme un lieu de passage. Elle choisit de se laisser emporter par les on-dit de la foule, de laisser les rumeurs se répandre à plein afin de faire exploser en elle les évidences sordides. Elle se fait haut-parleur, canal de la rumeur et du caché. Ce n’est plus elle qui parle, c’est nous. Duras passe sans cesse du conditionnel à l’indicatif, de l’hypothèse à la certitude ; tout comme nous. Entre la vérité qu’elle énonce et nos délires, il n’y a plus de différence. Il y a juste l’urgence de dire ; dire jusqu’à atteindre cette sauvagerie d’avant la naissance, qu’elle décrit dans Écrire : « Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c’est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. On est acharné. On ne peut pas écrire sans la force du corps. Il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit. C’est une drôle de chose, oui. C’est pas seulement l’écriture, l’écrit, c’est les cris des bêtes la nuit, ceux de tous, ceux de vous et de moi, ceux des chiens. C’est la vulgarité massive, désespérante de la société. La douleur, c’est Christ aussi et Moïse et les pharaons et tous les juifs, et tous les enfants juifs, et c’est aussi le plus violent du bonheur ». Avec ces lignes, souhaitons que la peur existe, que tout le spectre des sentiments existe pour que la douleur et le bonheur soient possibles ; et quand on peut, l’écriture.  

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