28/12/2010

black swan

Il y a des films qui nous font peur et nous secouent les certitudes ; des films dont on voudrait encore une scène, une dernière, qui bouleverse la fin tragique. J’aurais voulu que Black Swan (2010) continue, que les derniers mots prononcés par la prima ballerina Nina (Natalie Portman), aient la force d’une magie pour qu’elle puisse rester en vie. ‘I felt it. Perfect. I was perfect’, dit-elle pour rendre l’âme après une performance exquise dans le double rôle de white et black swan en une mise en scène originale du Lac des Cygnes au Ballet National de New York.

Le film transmet avec une violente vibration la passion du travail d’artiste, les sacrifices auxquels une ballerine de haut niveau est soumise, les défis de faire partie d’un groupe où la compétitivité et les envies sont règles du jeu. Des coulisses au jour du grand spectacle, du rapport mère-fille à celui entre deux ballerines rivales, Black Swan se construit d’emblée sur des contrastes : la partie de lumière et d’ombre de l’être humain, l’amour et la haine, la pureté virginale et la sensualité diabolique, le désir de perfection et la destruction. Au fond, la vie et la mort.


Très vite, on s’aperçoit que la voie du succès est parsemée d’obstacles, de rudes épreuves et de persévérance qui font sortir des montres : la ballerine sombre dans des hallucinations, elle développe une éruption sur l’épaule d’où elle croit voir pousser des plumes noires ; elle quitte l’adolescence prude et puérile en passant une nuit d’orgies dans une boîte de nuit, ce qui lui révèle l’extase du sexe avec des hommes et avec sa maligne collègue ballerine, Lily (Mila Kunis). Cette dernière, rongée de jalousie, s’immisce dans l’existence de Nina pour la miner, pour la faire exploser, ce qu’elle réussit au bout du compte, et qui constitue la fin grandiose et tragique de la performance et du film.

Lors d’une bataille en coulisse entre les deux rivales, le soir de la première, le miroir se brise. Nina croit avoir poignardé Lily avec un bout de ce miroir. Le délire vrille dans son corps et dans sa tête : et non, Nina s'est tuée elle-même. Avec une énergie folle, cette dernière parvient à magnifiquement terminer le troisième acte du Lac des Cygnes mais la tache rouge qui grandit sur sa robe immaculée nous dit que c’est fini. Elle va mourir. Dans la mort, Nina rejoindra le cygne noir et blanc mais la dette est infinie ; elle paye avec la vie l’ovation de la salle qui se lève pour l’applaudir. Par ailleurs, le film entier est une métaphore de la recherche de la perfection et du sacrifice. Le chemin dévorant d’un accomplissement suprême.

Le film fait aussi figure de conte de fée : les sons, les lumières, les costumes et les décors prêtent à rêver. On est témoin d’une histoire qui prend vie dans le corps et les mouvements gracieux d’une ballerine et de plusieurs figurantes qui dansent et volent sur une musique divine. Autrement, des scènes inattendues, des gestes tordus, des voix issues du délire, tout cela est censé nous effrayer, donner à la production un air de thriller et une tension psychologique en crescendo, surtout dans les relations ambivalentes mère-fille, directeur de compagnie-ballerine.

Dans son essai Le corps et sa danse (1995), Daniel Sibony montre avec finesse les liens que la danse tisse avec l’autre, que cela soit le public, le corps ou l’inconscient : « La danse cherche le geste pour se donner les mots de passe », lorsqu’on est « cloué devant l’impossible ». Cette danse est la preuve qu’il y a du mouvement et donc de la vie et du lien possible, de l’ouverture sur autre chose que le visible. Pourtant, dans l’histoire du Lac des Cygnes et dans le film Black Swan, c’est le tragique qui domine. Le pathos maintient en haleine, lorsque le mélange de larmes et d’extase donnent à penser le corps dansant, pensant, jouissant, délirant… Au coeur de tout cela, se fait sentir la force de la rencontre, comme dit Sibony : avec la partie sombre de soi-même, avec l'autre, avec la vie en ce qu’elle a de beau, de bon et de méchant.

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