07/04/2013

"sans" de beckett


Lu un court texte de Beckett que je ne connaissais pas : Sans. Inventaire de tout ce sans quoi l’être humain existe en tant qu’être. Non pas ce qui lui manque : car c’est seulement après être entré dans le temps et l’espace, que l’homme acquiert une sensation du manque ; d’où peut-être la tâche de l’écriture à travailler à l’infini les formes indéfiniment variées, polymorphes du manque.

« Lointains sans fin terre ciel confondus pas un bruit rien qui bouge ». L’être existe dans les lointains, c’est-à-dire qu’il réside au plus intime de nous-mêmes. Il est sans fin dans l’espace et sans commencement dans le temps. Il n’a ni bouche, ni oreille : « il est sans un bruit, sans le souffle d’un son ». Il est l’innommable, l’immémorial : « sans temps », « sans issue », « sans traces », « sans souvenir ». Sa texture est air et lumière ; sa couleur est grise, le gris d’avant les couleurs, d’avant la différence du noir et du blanc, teinte becketienne par excellence : « Ne fut jamais qu’air gris dans temps chimère lumière qui passe ».

Sans écrit en français en 1969, ajouté en 1972 à la réédition du recueil Têtes mortes. Textes évoquant la mort, la perte, la misère humaine, des lendemains de catastrophe. Souvent l’impression qu’on a fait plus que frôler la catastrophe, elle s’est produite. Comme le psychanalyste anglais Winnicot l’élabore vers la même époque, la crainte d’un désastre à venir est la remémoration en acte, inconsciente, d’un désastre précoce et dévastateur que la mémoire d’alors n’a pu accueillir. Beckett ouvre ce chemin pénible, à rebours : c'est par le travail du négatif qu'il accède à l'être et non en reconnaissant son inaccessibilité. 

Sans est homonyme de « sens ». Le texte de Beckett pointe tout ce sans quoi le sens n’advient pas.
Allusion à l’autre homonyme de « sans » : « sang ». Terme absent dans le texte. 

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