Lu un court texte de Beckett que je
ne connaissais pas : Sans.
Inventaire de tout ce sans quoi l’être humain existe en tant qu’être. Non pas
ce qui lui manque : car c’est seulement après être entré dans le temps et
l’espace, que l’homme acquiert une sensation du manque ; d’où peut-être la
tâche de l’écriture à travailler à l’infini les formes indéfiniment variées,
polymorphes du manque.
« Lointains sans fin terre ciel confondus pas un bruit rien qui
bouge ».
L’être existe dans les lointains, c’est-à-dire qu’il réside au plus intime de
nous-mêmes. Il est sans fin dans l’espace et sans commencement dans le temps.
Il n’a ni bouche, ni oreille : « il
est sans un bruit, sans le souffle d’un son ». Il est l’innommable,
l’immémorial : « sans
temps », « sans issue », « sans traces », « sans
souvenir ». Sa texture est air et lumière ; sa couleur est grise, le
gris d’avant les couleurs, d’avant la différence du noir et du blanc, teinte
becketienne par excellence : « Ne
fut jamais qu’air gris dans temps chimère lumière qui passe ».
Sans écrit
en français en 1969, ajouté en 1972 à la réédition du recueil Têtes mortes. Textes évoquant la mort,
la perte, la misère humaine, des lendemains de catastrophe. Souvent
l’impression qu’on a fait plus que frôler la catastrophe, elle s’est produite.
Comme le psychanalyste anglais Winnicot l’élabore vers la même époque, la
crainte d’un désastre à venir est la remémoration en acte, inconsciente, d’un
désastre précoce et dévastateur que la mémoire d’alors n’a pu accueillir. Beckett ouvre ce chemin pénible, à rebours : c'est par le travail du négatif qu'il accède à l'être et non en reconnaissant son inaccessibilité.
Sans est
homonyme de « sens ». Le texte de Beckett pointe tout ce sans quoi le
sens n’advient pas.
Allusion à l’autre homonyme de « sans » :
« sang ». Terme absent dans le texte.
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