25/11/2010

écriture du fait divers

Quels sont les droits de la fiction par rapport à la réalité ? L’ambiguïté littéraire peut-elle faire l’objet d’un procès et du retrait d’un livre des librairies ?

Le roman Sévère de Régis Jauffret, paru en mars 2010, s’ouvre avec cette phrase : « La fiction éclaire comme une torche ». Neuf mois après la publication de ce roman inspiré du meurtre du banquier Edouard Stern, l’écrivain et les éditions du Seuil se voient appelés au tribunal par la famille de la victime. La veuve du banquier et ses trois enfants demandent le retrait du livre pour « atteinte à la vie privée » ; la fiction « éclaire » trop. Ils s’opposent également à la production du livre au cinéma.

L’interdiction de toute adaptation de Sévére au cinéma reste en suspense. Selon un article du Monde, Jauffret a cédé les droits audiovisuels du livre à Albertine Production. Le script fut confié à Hélène Fillière qui se propose de réaliser son premier film ; projet évalué à 5 millions d’euros.  

En 2005, « l’affaire Stern » fut largement couverte par les médias en raison de la notoriété du défunt et du caractère sensationnel de sa mort. Edouard Stern fut retrouvé mort le 28 février à Genève, tué par quatre balles tirées par sa maîtresse Cécile Brossard à la suite d’ébats amoureux sadomasochistes. Ce fait divers choquant révéla au public des détails affolants sur la vie privée de la victime lors du procès de sa meurtrière, condamnée à huit ans de prison, et qui vient de recouvrer sa liberté ce mois de novembre.

L’écriture du fait divers pose la question de la mémoire et du deuil. Elle interroge le rapport à la norme, voire à la normalité. Et quelle normalité ? Au fond, on se demande jusqu’où un texte de fiction inspiré d’un événement du réel peut-il aller dans la révélation. Ces questions nourrissent les tensions entre la vie, où se passent des histoires personnelles, individuelles, et la création littéraire qui parle de l’humain. Et puis, qu’est-ce qui lie et distingue le discours journalistique qui informe et la littérature qui construit plusieurs points de vue, module et met en perspective ? On est d’accord : dans les deux discours, littéraire et journalistique, il y a une tentative de mettre en lumière une vérité sur des faits et sur l’être humain. Si la presse mise sur le sensationnel et la révélation ponctuelle, factuelle, la fiction prend son temps, élabore, révèle avec des moyens artistiques.
Régis Jauffret
 
Et l’écrivain en tout cela ? Y aurait-il quelqu’un qui prenne en compte l’avis de Régis Jauffret : « si mon livre était interdit, dit-il, j’en prendrai acte sans critiquer ni commenter, mais cette décision me rendrait triste. La loi française est très restrictive quant à la liberté du romancier qui entend s’emparer du réel. En ce moment, je me sens moins libre qu’à l’accoutumée de donner mon opinion » (Le Monde, 25/11/2010). Après tout, on est en train de penser que la censure ne tue pas la créativité mais elle oblige certes à creuser et inventer de nouvelles formes d’être écrivain. 

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