Chaque mois de novembre, Le Louvre accueille un artiste invité qui s’approprie deux ou trois pièces du musée et par son travail les transforme en espace original portant son empreinte. Cet automne, l’artiste invité est le metteur en scène Patrice Chéreau qui change deux salles rouges en théâtre où dialoguent les Visages et les Corps, ainsi que l’indique le titre de son exposition. Chéreau prend le défi de transformer le musée en scène où prime la liberté et il n’y a plus de frontières entre les époques, les styles, les âges des êtres représentés. Dans cet assemblage, L’origine du monde (1866) de Courbet semble encore plus expressive à côté du tableau de la Jeune fille se peignant (1630) de Salomon de Bray ; ou encore, des scènes de l’univers biblique classique du XVIIIe siècle semblent émaner plus de lumière à côté d’un visage abstrait de Francis Bacon ; ou bien, une photographie contemporaine en grand format d’une jeune fille dans la baignoire a l’air de se tourner pour réellement parler avec le regardeur et, à la fois, avec une autre femme d’un tableau voisin peint deux siècles auparavant.
La disposition des tableaux est surprenante. On éprouve la transgression des limites et l’incongru, on sait que c’est ainsi voulu, mais la sensation palpable d’être dans une salle de théâtre et pas dans un musée, l’emporte sur la surprise. Pour un instant, je me suis surprise rêver aux possibilités multiples de jouer avec l’art, penser aux ouvertures que donnent un dialogue – sous la forme d’une exposition – entre un homme de théâtre et un peintre ou photographe. Ces croisements de vision et de créativité me paraissent fascinantes.
Dans une deuxième salle mise à la disposition de Chéreau, plus petite, celle-là, le metteur en scène a choisi de montrer surtout des croquis au crayon ou des aquarelles qu’il réalisa lui-même pour différentes mises en scène. S’ajoutent aussi des photos de fin de vie par Hervé Guibert avec des réflexions saillantes sur la force de la photographie à prolonger l’existence. Ensuite, des morceaux de journaux américains qui parlent d’artistes pop, et à côté quelques dessins du père de Chéreau, des portraits et des corps avec l’inscription « Hôpital de la Salpetrière », comme pour jouer sur l’ambigüité : l’artiste, était-il fou ? était-il médecin psychiatre ?
Si la première salle de l’exposition est plus impressionnante, la deuxième, plus étroite et sombre, semble nous conduire dans « les entrailles » d’une mise en scène théâtrale pour nous montrer aussi les jeux de lumières et la préparation de la distribution. Les deux salles apparaissent ainsi comme le devant et le derrière d’une cortine.
Dans son ensemble, l’exposition m’a paru intéressante mais quelque part, il m’est resté le sentiment qu’il y avait de la place pour plus d’imagination, plus d’improvisation ; sensation plus évidente surtout en traversant des salles du Louvres où des tableaux de la collection permanente m’ont touchée par leur lumière singulière, par leur grandeur et mystère. Devant la beauté grandiose de certaines toiles qui sont là depuis des siècles, la créativité de Chéreau m’est apparu soudain menue. C’est là où j’ai eu encore la révélation que la mise en perspective peut changer complètement notre perception d’un tableau, d’un visage, d’un événement..
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