17/10/2011

du vent

Le vent souffle dehors. Dedans, les étudiants me paraissent méfiants et un peu crispés. Ils n’ont pas l’air de savoir ce qu’ils font ici. Ils pressentent dans ce contrôle de grammaire une motivation cachée de ma part. Comme s’ils se retrouvaient sur scène, sans la moindre idée de la pièce qu’ils doivent jouer, du rôle qu’ils sont tenus de remplir. Quelqu’un détient-il la clé ? Quelqu’un va-t-il leur souffler la réplique ? Au fond, il n’y a rien de vraiment anormal : ils sont dans un cours à l’université, au mois d’octobre à Winnipeg. Mais le malaise est là. Il insiste. Cette présence étrange que j’ai créée autour de moi, mon tailleur noir et les lunettes : tout cela doit correspondre à un code quelconque mais justement ils ne savent pas lequel. D’une part je leur ai demandé d’être en classe à 10 heures précises, au lieu de 10h10, ce qui fait penser qu’il s’agit d’une occasion particulière ; mais d’autre part il y a le film qu’on va regarder, donc tout à l’heure il faudra se mettre au diapason d’un cours facile. Les pistes se brouillent, les signes se contredisent ; ce n’est ni l’un ni l’autre et c’est les deux. Comment faire pour trouver le ton juste ?...

Et d’abord, pourquoi ce contrôle ? Pour rien, évidemment : la vérification d’un savoir est illusoire, sauf que ce soit obligatoire à l'université où il faut avoir des notes, des hiérarchies, distinctions, bourses, bonus... Pourquoi moi, serais-je là pour « vérifier » que ça existe ? Hélas, je suis là, et jusqu’à ce que je ne distribue les feuilles, tout le monde est en suspens. Je le sens et cela me rend nerveuse. Sous peu, je verrai que cela n’a aucune importance. Ou plutôt : ce contrôle de grammaire dans un cours de deuxième année est à la fois complètement important et complètement insignifiant ; chaque note est à la fois nécessaire et vaine. Car ce contrôle n’avait pas besoin d’exister du tout, mais une fois qu’il s’est mis à exister, il ne pouvait que se perpétuer, et revendiquer son existence en 2011 comme il l’avait fait en 2010, 2009…

Quand j’écris ces lignes, le même dilemme est constamment présent. Le souci de ne pas raconter des salades, de faire des mots des murs, mais plutôt des constructions qui pourraient ouvrir sur quelque chose qui existe. Une fille me parlait des portes qui ne pouvaient être ni ouvertes ni fermées – se souvient-elle ? –, mais entrouvertes. On essayait de trouver d’autres moyens possibles que d’apprendre par cœur, de « faire le plein » de règles de grammaire, ou de ne rien apprendre, de « faire le vide ». Mais je suis convaincue qu’ici et maintenant l’écriture de cette page ne peut pas illustrer ce choix ; qu’elle est pleine jusqu’à l’écœurement ; qu’elle ne peut s’empêcher d’être détournée en enseignement. Comme je disais hier, la musique, elle, a plus de chances du fait qu’elle n’enseigne pas ; c’est dans sa nature même d’être du vent, d’être comme le vent, perméable, trouée. Si le savoir est pierre, la musique, elle, est air : poreuse, ailée, comme la brise qui souffle sur la plage en Italie. Maintenant le vent se glisse librement entre les branches des arbres devant la fenêtre de la salle de classe ; il halète et pousse les vitres. Il est du solide et du vide. Aimeras-tu cette métaphore ? Peut-être trouveras-tu de quoi faire un sourire ou un haïku…

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