20/10/2011

l'acadien

Ce que je donnerais pas pour sortir de la salle – ça y est, c’est la trente-sixième fois que j’y pense – ça va finir par me gâcher tout l’après-midi. C’est absurde. Si seulement je ne serais pas venue écouter Antonine Maillet dans cette salle de l’Université de Saint-Boniface, je n’y penserais plus – je consacrerais toute mon attention à ce fichu de texte que je dois bricoler et envoyer avant le week-end – mais ils ont dû faire exprès pour me pousser à assister à cette conférence – et je ne pouvais vraiment pas prétendre que je n'irais pas ; je suis « nouvelle » et jeune, et donc, il faut y aller. – Personne d’autre qui veut sortir de la salle maintenant ? Si, il y a une étudiante assise à côté de la porte qui a ramassé ses affaires et mis son manteau – mais elle n’ose pas, ça ferait du bruit. Faut pas déranger, donc mords la lèvre et attends.

Quelle scène ! j’aurais jamais cru que ça m’arrive. Il faisait quatre ou cinq ans depuis que j’entendais parler de cette écrivaine acadienne – la plus reconnue au Canada – Antonine Maillet, que  j'aurais voulu écouter. Une fois déjà à un colloque à Montréal, je l’avais ratée. Et voilà l’occasion. – C’est Antonine Maillet ? tu es sûre ? – Bien sûr que j’en suis sûre ! Mais elle a l’air fatiguée, ils auraient dû mettre un peu plus de lumière et des chaises confortables. Heureusement, elle a choisi de ne pas s’asseoir. Elle parle assez lentement et gesticule. C’est évident qu’elle se construit autour d’elle un personnage. J’aurais voulu pouvoir entrer dans ses histoires – Pélagie-la-charrette, La Sagouine... Impossible. J’ai eu beau me concentrer sur sa façon de « causer » dans la « belle langue acadienne » ; rien mais rien ne faisait écho en moi. J’étais un cube de glace. Et ça avant l’hiver. Une idée fixe ne me lâchait pas : sortir de la salle. En tout cas, je me suis posée toutes sortes de questions : pourquoi dire que le français est plus beau, plus précis, plus patati et patata que les autres langues ? Que faire des langues qui datent de plus de deux mille ans ? Et l’hébreu et l'araméen et le sanskrit ? Et ça alors, comment imaginer que seul le rire et le langage nous distinguent de l’animal ? Et la conscience de la mort et la capacité d'interpréter ? Moi, vouée à me lever chaque matin et chercher du sens à cette nouvelle journée ; donc, interpréter, inventer, tisser, fabriquer du sens avec des mots, images et sentiments. C’est pour cela, parce que je sentais qu’il y avait tant de choses qui manquaient dans ces histoires harmonieuses d’Antonine Maillet, que je voulais sortir, et vite. Me préserver – de grâce ! – de ces illusions.

Je me suis aperçue presque tout de suite – j’étais assise à côté de profs qui parlaient français avec un accent nouveau, du franco-manitobain – que j’étais une intruse ; ni d’ici, ni de Lyon, ni de Québec... Quand Antonine Maillet disait « notre langue » replie de mots précieux (got, gorge, gargaton) qui n’existent plus aujourd’hui en Vandée, et que la salle laissait pousser un rire, je me rendais compte que j'étais exclue de la partie ; j’étais une spectatrice à cette pièce dans laquelle on disait « nous » ; nous les Acadiens, nous les Manitobains. L'incontournable question me revient : mais toi, qu’est-ce que tu fais là ? Réponse inutile et trop longue. Quand même, je me suis sentie rassurée sur une chose : ma singularité  – du coup, je ne me trouvais plus folle pour deux sous – j’ai même payé un taxi pour rentrer, tellement j’avais envie de quitter les lieux. Et chez moi, je me suis jetée sur Le Monde des livres…

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