19/07/2010

histoires de deuil


Il y a des histoires vraies qui sont plus touchantes que d’autres ; ces histoires où on sent le chagrin de l’autre à fleur de peau, où une vibrante transmission se produit et on renoue avec nos propres chagrins, avec des deuils, des pertes.

Ce matin, la nouvelle de la mort de Remus, le chat cher compagnon depuis vingt ans d’une bonne amie, m’est parvenue sur le répondeur. Une voix éteinte, en larmes, me laissait savoir : ‘I have to tell you before I see you again that Remus had to go. I had to put him to sleep this morning…’, et des mots sur la maladie, la vieillesse, la fragilité de ce fidèle ami qui jusqu’au dernier souffle n’a cessé d’être présent, affectueux. À l’autre bout du fil, au creux du silence, je m’approchais de Lois comme pour la protéger du pire – je dois dire que la dame amie a elle aussi un certain âge ; 77 ans n’est pas rien. Je lui parlais à ma façon, je lui disais encore comme une semaine auparavant que nos morts sont des revenants, que ceux qui nous sont chers ne partent jamais. Des mots prononcés il y a quelques jours, et qui m’effrayent aujourd’hui, comme s’ils avaient une force prémonitoire et savaient quelque chose sur un événement qui allait se produire. Des mots donc. Et le « réel » dont parlent les avant-gardes littéraires, cette dimension d’ombre lié à l’inconscient, au rêve, à la destruction, qui est souterraine à la réalité.. Cette part de mystérieux qu’on porte chacun et qui trouve d’étranges façons de nous faire signe, de s’exprimer.

Toujours ce matin, je me demande ce qu’il en est d’un autre chat, jaune celui-là et jeune, qui m’a longuement appelée et aurait tant voulu me tenir compagnie un soir récemment sur la véranda de la maison de campagne où j’étais. Comment ne pas y voir des fils en suspense, des points de suspension, de l’inconnu ? Et faire des analogies, qui me prendront peut-être un moment à intégrer dans un tissu de sens. En vérité, ce qui me fascine dans cet événement – sans ignorer la douleur de la perte – c’est la liberté d’imaginer autour de l’imprévu, les possibles qui animent le on ne sait pas, ce à quoi on tente de prêter voix, et interprétation et explication ; l’envie, la nécessite de construire un récit afin de mieux comprendre... C’est un peu comme écrire un roman, quand grâce à l’écriture, à la pensée, on croit parvenir à saisir toujours autrement les mystères du monde. Car, à quoi sert la littérature sinon à nous donner l’occasion de mesurer des possibles et des possibilités, à imaginer des situations ?

Autrement, la perte de Lois, qui est un peu la mienne à travers l’amitié, me rend vivants des deuils, et surtout le chagrin d’un deuil récent. Un an passe vite et on s’aperçoit que le point brûlant de l’émotivité ne part pas, ni ne s’estompe. Un mot, un regard, un souvenir ravive l’absence. Elle pleure, je pleure, on pleure. Cela fait un an, je me souviens encore, je lisais Barthes, Journal de deuil, et j’apprenais alors que ce  texte fut issu de brèves phrases inscrites sur trois cents cartes. De ces phrases, me reviennent certaines, la dernière, troublante dans sa simplicité : « il y a des matinées tristes ». De même, l’idée du besoin de l’écriture : il me fallait écrire ce livre sur « mam », sur la photographie ou sur autre chose, disait Barthes ; il fallait inscrire « mam » dans une histoire, ce besoin « peut-être parce qu’elle n’était pas écrivain et que son seul souvenir dépendait de moi ». Dette de filiation et d’écriture à laquelle Barthes est demeuré fidèle.


Aujourd’hui encore, je me rappelle la fête des morts. Pendant de longues années, le 1 novembre, j’accompagnais ma famille au cimetière fleurir les tombes des proches. On marchait lentement, silencieusement, en pleine nature, dans un espace sacré ; on se rappelait nos morts, et eux, ils nous appelaient. Ce jour particulier, là, dehors, sous la pluie souvent – car le ciel pleurait – on me faisait croire que la frontière entre les morts et les vivants disparaissait, les portes s’ouvraient, et pour un instant, l’ici et l’au-delà n’avait plus de sens. Je croyais encore aux miracles.

Depuis, j’ai connu des deuils importants de mes très proches, et la fête des morts arrive pour moi aussi en juillet. Je me dis que c’est pour ne pas oublier un autre deuil, la fête des juifs... Ainsi est-il que d’un an à l’autre, de juillet à novembre et de novembre à juillet, je n’oublie pas mes revenants... Mais cela est une autre histoire.  

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