15/09/2010

15 septembre



Je marchais au treizième étage de la bibliothèque et trouvai, en tournant les yeux, ce petit livre de Romain Gary, Vie et mort d’Émile Ajar (1981, posthume) – et c’est ainsi que je lus sur la première page : « J’écris ces lignes à un moment où le monde, tel qu’il tourne en ce dernier quart de siècle, pose à un écrivain, avec de plus en plus d’évidence, une question mortelle pour toute forme d’expression artistique : celle de la futilité. De ce que la littérature se crut et se voulut être pendant si longtemps – une contribution à l’épanouissement de l’homme et à son progrès – il ne reste même plus l’illusion lyrique ». Romain Gary : jeu de masques, vies multiples, un deuxième Goncourt sous le pseudo d’Émile Ajar, scandale médiatique, tournures rusées, de quoi tenter de « s’expliquer ici devant la postérité », qui idéalement ferait mieux « d’accorder encore quelque importance à mes œuvres et, parmi celles-ci, aux quatre romans que j’ai écrits sous le pseudonyme d’Émile Ajar », au lieu de s’égarer dans des « futilités extérieures ». Par-delà l’onde de déception quant au pouvoir de la littérature, résonne dans la voix de Gary une façon singulière de poser la question ce qui est essentiel. Cela me ramène étrangement à mon quotidien où depuis quelques jours, la rentrée me pousse à penser à ce qui compte, à ce qui vient d’abord. Bref, l’essentiel, les priorités..

Car c’est la rentrée ; c’est parti, j’ai plongé dans la routine des cours ; occasions aussi pour affronter des pourquoi qui s’enchaînent dans la salle de classe et pas seulement : pourquoi continuer de prendre des cours de littérature ? Pourquoi pas de traduction ? Pour faire quoi ? Et le contrôle du 18 novembre pour quoi, pour combien de points ? Pour ceci, pour cela, une kyrielle de réponses que je n’ose pas toujours dire à haute voix. Dans ma tête, c’est clair, tout cela a l’air de vouloir savoir : où se joue l’essentiel et où le faire jouer, ou au moins comment laisser l’impression que c’est essentiel, que c’est utile, et pas futile. Utile, futile : jolie sonorité, pas si jolie quand il s’agit de choisir, de comparer ou de trancher. Laissons, je veux parler des visages un peu inquiets des étudiants qui semblent demander ça et là, hier ou aujourd’hui, par où prendre ce qui est essentiel. Or, c’est touchant, car dans cette ambiance un peu ambiguë, angoissante et pas tout à fait reposante, se passe une rencontre entre étudiants et enseignant. Une rencontre que j’imagine ondulée, colorée, intéressante et surtout vivante ; pleine de surprises aussi. Je me dis qu’après tout, c’est l’imprévu qui compte : on échange, on dialogue, cela passe ou passe pas ; reste l’espoir que cela passera la prochaine fois. Ce n’est pas peu.

Et dans un cours, la voix lente, hésitante, d’un homme barbu et solennel me retient. Cet homme qui parle et se présente du haut de son grand âge octogénaire, est étudiant. Il est là par amour pour la littérature, pour le bonheur de retrouver le français. Dans le silence, nous sommes complices, nous sommes là dans le présent et dans un autre temps ; l’université canadienne accueille de telles rencontres. Et cela semble presque naturel ; les étudiants écoutent, regardent et se demandent peut-être ce qu’ils seront à l’âge du monsieur. Mes pensées volent ailleurs. Pour un instant me revient la voix de la jeune Antonia Kerr, 21 ans, qui récemment sur un plateau de télévision dans une émission littéraire, parle d’un premier roman qu’elle publie, Des Fleurs pour Zoë. Texte fascinant apparemment, où le narrateur, un homme à la retraite d’une soixantaine d’années vit une aventure et une rencontre dans la campagne du Nevada. La jeune fille écrivain, du haute de ses vingt ans donc, entre dans la peau du sexagénaire et c’est réussi ; son texte envoyé par la poste est publié chez Gallimard. Etrangement, le monsieur dans la classe me rappelle Antonia comme pour montrer que dans la jeunesse et dans la vieillesse, des belles surprises sont possibles, la vie est vivante, des choses se passent et nous dépassent. C’est l’émerveillement et la surprise qui m’émeuvent. Cet imprévu porteur qui fait vibrer et qui se donne à voir dans une salle de cours, dans un livre ou dans la rue.. On dirait quelque chose pour signifier que la vie est belle et alors, l’essentiel n’a pas besoin d’être pensé, cherché, mesuré. L’essentiel existe simplement. 

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