20/07/2011

écrire

En écrivant, on s’arrête de temps en temps sur un beau passage qui est mieux réussi que tous les autres et au-delà duquel soudain on ne sait plus continuer. Quelque chose est allé de travers. C’est comme s’il y avait une réussite stérile ou mauvaise, et peut-être faut-il arriver précisément à se faire une idée de ce que signifie la bonne réussite.

Proust et ses « beaux passages » me laissent encore rêveuse. Le charme de la mer  imaginaire dans La Recherche correspond ce soir à la pluie bruine crachin qui tombe dehors. C’est un de ces moments exquis où les vapeurs de chaleur se mêlent à la mélancolie.

« La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir, une promesse que tout ne va pas s'anéantir, comme la veilleuse des petits enfants qui se sentent moins seuls quand elle brille. Elle n'est pas séparée du ciel comme la terre, est toujours en harmonie avec ses couleurs, s'émeut de ses nuances les plus délicates. Elle rayonne sous le soleil et chaque soir semble mourir avec lui. Et quand il a disparu, elle continue à le regretter, à conserver un peu de son lumineux souvenir, en face de la terre uniformément sombre. C'est le moment de ses reflets mélancoliques et si doux qu'on sent son coeur se fondre en les regardant. Quand la nuit est presque venue et que le ciel est sombre sur la terre noircie, elle luit encore faiblement, on ne sait par quel mystère, par quelle brillante relique du jour enfouie sous les flots. Elle rafraîchit notre imagination parce qu'elle ne fait pas penser à la vie des hommes, mais elle réjouit notre âme, parce qu'elle est, comme elle, aspiration infinie et impuissante, élan sans cesse brisé de chutes, plainte éternelle et douce. Elle nous enchante ainsi comme la musique, qui ne porte pas comme le langage la trace des choses, qui ne nous dit rien des hommes, mais qui imite les mouvements de notre âme. Notre coeur en s'élançant avec leurs vagues, en retombant avec elles, oublie ainsi ses propres défaillances, et se console dans une harmonie intime entre sa tristesse et celle de la mer, qui confond sa destinée et celle des choses »

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