14/10/2012

limites


Il fait du soleil à  Winnipeg. Un ciel bleu, sans nuages, a étalé son manteau sur la ville. C’est la fameuse lumière des plaines – cette lumière douce, mais têtue, violente, insistante – comme une brûlure. Qui vous bouleverse en profondeur. Comme la joie qui ouvre parfois vos yeux sur la vie.

L’association Languages and Cultures of Manitoba and North Dakota tient ses conférences tous les deux ans depuis 1958 quand elle fut fondée par des chercheurs des Universités du Manitoba et du North Dakota. Ce week-end, leur conférence s’est tenue à Winnipeg, dans un hôtel à la Fourche, à deux pas de ce point mythique où avait lieu la traite des fourrures au XIXe siècle, à l’intersection des rivières Assiniboine et Rouge. Je ne sais pas pourquoi, je m’attendais qu’un certain nombre de communications portent sur les Canadiens et les peuples autochtones – vu peut-être le lieu du colloque et l’histoire de la Fourche. Mais finalement, il n'y a eu que trois conférenciers qui ont parlé des Autochtones, surtout du décrochage scolaire chez les enfants métis. Que faire pour ces enfants ? Pour leurs familles ? Peut-on les comprendre pour pouvoir éventuellement les aider, les accompagner ? Pas évident. À part ouvrir des questions et tenter d’imaginer que la recherche académique pourrait avoir un impact sur le vécu, les gens présents avaient du mal à articuler des possibilités d'amélioration. Une onde de scepticisme planait sur tout le monde.

C’est peut-être dans de tels moments de difficulté, quand on fait l’effort de mettre en mots une pensée qui soit valable dans le vécu, et qu'on n'y arrive pas vraiment, qu’on réalise que la recherche universitaire ne tient pas toujours la route face aux défis de la vie. C'est assez triste de le réaliser, je crois, puisque la prise de conscience (même fugitive) que votre projet de recherche - ce cher projet qui compte pour vous, qui prend du temps, de l'énergie - est vain, précaire, insuffisant, n’est pas facile.

Toutefois, quand cette pensée m'apparaît, par une sorte de miracle, il y a aussi une certaine échappée : le souvenir d’un livre, d’un personnage ou d’une personne qui me déplace ailleurs, comme cet après-midi où je me souviens de l’écrivain, Alexandre Diego Gary – le fils de Romain Gary et de Jean Seberg – et de son roman autobiographique, S ou l’espérance de vie, publié en 2009, chez Gallimard. Parmi les questions que Diego Gary se pose sur sa vie, il y a ces phrases poignantes sur son père et sa mère, tous deux s'étant donné la mort par suicide : « … Il (Romain Gary) avait – du moins le croyait-il – accompli son chemin. Etait allé au bout d’une vie riche, abondante, multiple. (…) Si nous avions su l’aimer. Si nous avions su le soutenir dans sa détresse, sa mélancolie, profonde mais masquée.
(…)
Autant la vie de ma mère était la chronique d’un suicide annoncé, autant il ne m’était jamais arrivé d’imaginer que lui puisse accomplir un tel geste. Le choc n’en fut que plus rude. Et dévastateur. Un océan, justement, de désespoir, de culpabilité et de honte de n’avoir su l’empêcher, mais en quoi cela était-il en mon pouvoir, entre mes mains ?
Je ne savais même pas qu’il avait une arme, qu’il avait conservé son arme d’officier ». (p. 108)

Bien sûr, ces mots, tout comme l’effort des conférenciers au colloque, sont assez bouleversants si on y lit les limites de notre capacité à imaginer le pire ou le meilleur, les limites du langage et de la recherche académique face à une réalité qui nous prend au dépourvu et nous dépasse. 

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