20/12/2011

soudain, déjà

L’angoisse est le propre de l’homme, elle est une arme secrète sans quoi l’humanité se défait. Ceux qui ne connaissent pas l’angoisse sont-ils tout à fait humains ? L’exposition 2001-2011, Soudain, déjà, à l’École Supérieure des Beaux-Arts à Paris présente trente artistes diplômés en 2000, en les mettant en parallèle avec les grands événements de cette décennie, ce qui m’a fait poser cette question : quel rapport entre l'artiste et l'angoisse ? Au fond, il est impossible d’être artiste et de ne pas ressentir l'angoisse de l’écart entre ce qui s’est passé et les moyens de représentation. Dans la présente exposition, il ne s’agit pas de suivre seulement une ligne chronologique ou thématique, de représenter des événements, mais plutôt de laisser les artistes – certains connus, d’autres en devenir – venir insérer leurs travaux librement, interroger le contemporain, mesurer les chocs et les bouleversements, donner à penser, à sentir, à voir… Une génération est ainsi « placée » en son époque, le but étant peut-être d’interroger le monde par l’art, mais aussi l’art par le monde, et de donner ainsi des possibilités multiples d’interprétation, de regard, de ressenti.

Comme souvent dans une exposition, je m’interroge sur les limites de la perception ? Percevoir, est-il ressentir et voir tout à la fois ? Merleau-Ponty disait ainsi : « Dans le présent, dans la perception, mon être et ma perception ne font qu’un, non pas que mon être se réduise à la connaissance que j’en ai et soit clairement étalé devant moi, tout au contraire la perception est opaque, elle met en cause au-dessous de ce que je connais, mes champs sensoriels, mes complicités primitives avec le monde – mais parce qu’avoir conscience n’est ici rien d’autre qu’« être à… » et que ma conscience d’exister se confond avec le geste effectif « d’existence ». C’est en communicant avec le monde que nous communiquons avec nous-mêmes ; notre perception est bien plus vaste que ce que nous appelons le « je ». « Une perception élargie, telle est la finalité de l’art », écrit Deleuze.

Dans son bon livre Éloge du risque, Anne Dufourmantelle fait écho à Deleuze, lorsqu’elle parle de l’intuition en art, c’est-à-dire d’un savoir et d’une perception en avance de soi. Pour elle, « dans la création, il est tout le temps question de ce dispositif logé en avant de soi et qui nous informe, en quelque sorte à notre insu, et se dépose sur la toile, dans la partition ou sur la page avant même que notre conscience s’y attarde ; elle n’en prendra connaissance qu’à la relecture ». À la lumière de ces mots, voir une exposition est aussi s’apercevoir que nous sommes des chambres de résonnances dont on ne sait plus d’où viennent les voix, les sons, les couleurs ; à qui cela appartient, mais qu’on a fait nôtre. 

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