29/07/2012

king kong théorie


Vous avez peut-être lu Virginie Despentes, je ne sais pas quelle résonance ont fait ses textes en vous. Moi, j’avoue que son essai autobiographique, King Kong théorie (Grasset, 2006), qui m’est tombé sous la main récemment, m’a secouée -- je veux dire qu’il m’a fait penser à des sujets inhabituels, assez rares dans mes lectures, au point que je suis curieuse de voir plus loin.  Disons que j'aimerais savoir davantage sur Virginie Despentes et ses livres dérangeants, déstabilisants, qui rompent ouvertement avec le discours bien pensant de la France contemporaine sur la sexualité, le viol, la violence, la pornographie... Écrire et penser, dit-elle, depuis un lieu de non-féminité chez la femme et pour des hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ou pour ceux qui voudraient l’être et ne savent pas comment s’y prendre. « J’écris de chez les morches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, (…) toutes les exclus du grand marché de la bonne meuf » (p. 11). Sa plume conteste, râle, met ensemble un manifeste pour un nouveau féminisme. 

Il y a cette autre question dans King Kong théorie : peut-on survivre à un viol et ne pas s’enfermer dans la honte, le silence et la complaisance ? Assumer et oser sortir à nouveau, faire avec le viol comme une condition inhérente et dangereuse de l’être femme. Cette attitude est risquée, elle le reconnaît, et pas pour tout le monde. Ce n’est pas exactement la même chose de violer et d’être violée. Oui, on peut se vanter de la liberté de sortir en minijupe et avec des talons, provoquer, mais on subit dans le corps.

Plus loin, Despentes s'attaque aux valeurs culturelles bien installées et précises « qui prédestinent la sexualité des femmes à jouir de leur propre impuissance, c’est-à-dire de la supériorité de l’autre, autant qu’à jouir contre leur gré, plutôt que comme des salopes qui aiment le sexe. Dans la morale judéo-chrétienne, mieux vaut être prise de force que prise pour une chienne, on nous l’a assez répété. Il y a une prédisposition féminine au masochisme, elle ne vient pas de nos hormones, ni du temps des cavernes, mais d’un système culturel précis, et elle n’est pas sans implications dérangeantes dans l’exercice que nous pouvons faire de nos indépendances » (p. 56). Finalement, pas évident de s’apercevoir que ce qu’on prend pour des valeurs acquises est contestable, hypocrite. L’inconscient collectif reste dans l'ombre mais il est  fondateur de comportements.

Qui connaît Virginie Despentes l'écrivaine sait peut-être qu'elle est aussi réalisatrice de cinéma, et là aussi, ses films qui traitent souvent de l’amour lesbien, des limites de la pornographie etc, sont dérangeants ; voir Bye-Bye Blondie. Cette femme ose tirer à la lumière du jour ce qu'on voudrait caché, elle montre, parle, pense. Dans une entrevue, je l’ai entendu dire que plus de films X et meilleurs pourraient  apaiser la violence environnante. Bref, imaginer qu’il y aura moins d’hommes à la guerre et moins de femmes violées, maltraitées…s'il y avait accès à la porno sur grand écran. Y croire ou pas, c’est une idée, un fantasme, une folie... Pourquoi pas ?

Je disais King Kong théorie - dont le titre est un clin d’œil au film du même nom -, le livre contient un chapitre intitulé « King Kong Girl », effervescent et drôle à la fois. On comprend ici que le monstrueux, brutal, primitif, animal n’est pas toujours à prendre pour dangereux ou « à éviter ». King Kong fonctionne comme une métaphore d’un être avant la distinction des genres telle qu’imposée politiquement vers la fin du XIXe siècle, et son jeu permet d'envisager des va-et-vient intéressants entre l’homme et le monstre, le bon et le méchant, le primitif et le civilisé, le brun et la blonde etc. Hybride, sans l’obligation d’être discriminatoire ou dans une pensée du binaire.

Pour terminer, je partage ce fragment que je trouve plutôt joli ; coup de balai aux illusions -- 

« Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand-chose, de toutes façons je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas ». (14)

À moins qu’elle ne nous réserve des surprises ? Et là, c'est parti -- la machine à rêves et à d'autres imaginaires  tourne à l'infini...

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