10/08/2012

écriture et passage du temps


Cet été m’a offert quelques moments doux : la lecture du Journal de Virginia Woolf et la relecture des extraits des Mémoires de Simone de Beauvoir, jusqu’à Tout compte fait. Je me rends compte que j’ai lu avec bonheur ces écrivaines cherchant dans leurs mots et souvenirs quelques armes, et peut-être un itinéraire, une inspiration pour la vie d’adulte qui me semble complexe, rusée, féroce même. Voici que pour mon trente-quatrième été, les livres de Simone de Beauvoir m’aident à accueillir quelque chose de mon âge mûr et m’incitent à réfléchir sur l’écriture et le passage du temps ; sur ce que je n’ose pas appeler « la force de l’âge »…

« M’installer » au milieu de la trentaine. Je songe à Barthes qui, dans son cours La Préparation du roman I et II, en 1978, deux ans avant sa mort, réfléchit sur le temps qui lui reste, présentant combien court sera son futur. Il n’aura plus le temps de vivre de nombreuses vies ; « il me faudra choisir ma dernière vie », dit-il. À l’époque, Barthes a beaucoup plus que trente-cinq ans, et il commence le cours du 2 décembre 1978 citant Dante, qui à trente-cinq écrit : « Nel mezzo del cammin di nostra vita/Au milieu du chemin de notre vie ». Barthes entend parler de la vieillesse, « d’un compte à rebours flou mais dont le caractère irréversible est perçu plus que dans la jeunesse », et il nous met en garde que dans la société, « cette référence à l’âge est mal prise, mal comprise. On y voit une coquetterie : ‘mais non !’ ou une obsession ». Heureusement qu'il reste ceux qui sont fatigués de la répétition, « le peu de sujets qui pensent encore », dit-il, qui reconnaissent que le temps passe, qu’on vieillit. Barthes s’identifie à eux et imagine que : « Un moment vient où ce qu’on a fait, écrit (travaux et pratiques passés) apparaît comme un matériau répété, voué à la répétition, à la lassitude de la répétition ». Il continue désespéré : « Quoi ? Toujours jusqu’à ma mort, je vais écrire des articles, faire des cours, des conférences – ou au mieux des livres – sur des sujets qui seuls varieront (si peu !). Quoi ? Quand j’aurai fini ce texte, ce cours, il n’y aura plus qu’à en commencer un autre ? Non, Sisyphe n’est pas heureux : il est aliéné, non à la vanité de son travail, mais à sa répétition ». Le pessimisme de Barthes fait peut-être rire, mais il soulève une question assez troublante : comment ne pas sombrer dans la violence monotone de l’âge ? Ou encore, comment vivre l’épuisement de l’étonnement ? Pour celle ou celui qui écrit, ou qui a l’impression d’avoir vécu des nombreuses vies - arrivé(e) à un certain âge - est-il possible de se surprendre ? L’inconcevable peut encore avoir lieu ? 

Dans les années quatre-vingts, Deleuze pensait que la routine peut être révolutionnaire.
Enfin, chacun saura pour lui... 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire