13/08/2012

le bonheur


Qu’est-ce que le bonheur ? Chacun a sa réponse à cette simple question. Si on cherche les sens du bonheur, c’est qu’on sait qu’être heureux est un état d’âme instable, fragile, et que tenter de l’écrire serait peut-être une manière de le retenir, le prolonger, en faire quelque chose.

Ce week-end, trois films que j’ai vus au mini-festival de films canadiens hongrois m’ont semblé poser la question du bonheur. Comment y toucher ? Comment le vivre, le renouveler, lui donner une certaine durée ? Il est connu : on est heureux quand on partage avec les autres, quand on est en bonne compagnie et que ça passe ; quand on est reconnu par la vie et par ceux qu’on aime, et qu’on ne se réduit pas à soi-même, etc. Bref, quand ça marche et qu’on est libre d’angoisse, détaché, détendu – on aime et on est aimé. Parfois, on parle du bonheur ainsi.

Ces films donc, réalisés par des Canadiens d’origine hongroise pensent la quête du bonheur, quête singulière et tellement humaine, et la mettent en lien avec l’identité : qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Qu’est-ce que vous avez envie de faire de votre vie ? Il s’avère que les narrateurs des documentaires en question sont pris dans des entre-deux intéressants, entre deux ou plusieurs cultures, langues, traditions ; ils viennent de Hongrie après la Seconde guerre et s’établissent sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal. Ils ouvrent des épiceries, boulangeries, vont à la synagogue ou à l’église, fondent des familles, inventent une vie dont on sent la vitalité, l’énergie, l’élan. « Il y a de l’espoir », disent-ils souvent, et on imagine leur reconnaissance d’être vivants après la guerre...

En filigrane surgit après une réflexion sur le passage du temps, sur les gens qui changent de quartier, se déplacent, se dissipent un peu partout dans la ville de Montréal, les uns s’assimilent, les autres résistent et font des communautés presque fermées, la plupart d’entre eux s’intègrent sans perdre le lien avec la culture d’origine. Dans le va-et-vient entre là-bas, au pays natal – qui reste inscrit dans la nourriture, les coutumes, les fêtes, par exemple – et le Canada, pays de choix, se renouvelle l’espoir que des choses sont possibles, que l’aventure d’une vie nouvelle est ouverte. Il est vrai que les films dont je parle mettent de l’avant un imaginaire plutôt idéalisant sur l’immigration, à questionner aujourd’hui. Les obstacles restent en arrière-plan, la joie de vivre prime. Pourquoi pas, car malgré tout, c’est bon de se rappeler qu’il fait bon rêver, poursuivre des rêves et tenter de les réaliser ; faire confiance à une terre nouvelle.

Le documentaire de 1973 d’Albert Kish, Une rue de lait et de miel, montre le boulevard Saint-Laurent après la Seconde guerre comme un lieu de richesse et d’accueil pour des immigrants venus d’Europe ; Hongrois, Polonais, Roumains, Russes... La rue elle-même devient une sorte de vieille Europe, rendue vivante par les commerces qui s’ouvrent, les boulangeries, les marchés etc. Des familles s’y installent, inventent une vie, on sent le bonheur des enfants qui jouent dehors, qui montent les escaliers extérieurs typiques des maisons montréalaises.

Kish, le réalisateur, recueille des témoignages de ces premiers immigrants d’Hongrie. C’est assez intéressant, surtout quand un d’entre eux évoque le boulevard Saint-Laurent qui « a beaucoup changé » depuis les années 50. L’homme de quatre-vingts ans aujourd’hui avoue le « mélange de nostalgie et d’espoir » qu’il éprouve chaque fois quand il marche sur cette rue et croise des gens dont il ne connaît plus l’histoire – d’où ils viennent, quelles langues ils parlent – mais dont il se sent proche parce qu’ils vivent dans le même quartier. Le lieu est liant.

Il y avait peu de spectateurs dans la salle de cinéma, la plupart d’un certain âge. Je crois que chacun a trouvé quelque chose à quoi s’identifier. À la fin, quand les lumières se sont allumées, ils n’avaient pas l’air de vouloir se lever, comme s’ils tentaient peut-être de prolonger le fil des souvenirs, les images du passé... Pour ma part, je me suis dit que le cinéma, comme la littérature, a ce pouvoir extraordinaire de nous mener ailleurs pour qu’on reparte autrement. Une sorte de magie.

L’autre documentaire, Eaux de vie par Tamas Wormser, réalisé en 2006, parle d’un tout autre sujet : l’eau, la sensualité des bains et leurs rituels spirituels. Tourné en treize pays différents, le film donne à voir la relation essentielle que toutes ces cultures tissent avec l’eau et les croyances de purification, de renouveau, de bien-être. Ainsi, on passe par le Gange, et à voir des dizaines et des certaines d’Indiens qui le vénèrent et s’y baignent, on se s’étonne plus que ce Gange soit le fleuve le plus célébré et le plus pollué du monde. On s’arrête après aux sources thermales du Japon et aux hammams de Marrakech et Istanbul, qui séduisent par la lenteur et le calme. Il y a de quoi penser que l’eau et la nudité effacent les frontières entre les âges, les classes sociales, les lieux de naissance, les bains faisant le bonheur des locaux et des touristes. On y voit surtout que l’eau est une source de joie et de rencontres surprenantes avec soi-même et autrui ; on découvre des sensations nouvelles et de nouvelles présences.

En peu de mots, je rappelle le troisième film : La Florida de George Mihalka, sorti en 1993, dont on dit qu’il est une comédie québécoise classique. Pourquoi ? Parce qu’il met en lumière l’envie connue des Québécois de se sauver du froid et de se faire une vie dans le Sud des Etats-Unis, sous le soleil de la Floride. J’entends dire que c’était courant surtout dans les années 90. L’histoire du film est drôle, remplie de non-dits qui entretiennent le comique et poussent à aller plus loin, à se poser des questions : comment les Québécois vivent leur singularité en Floride ? Quels liens entretiennent-ils avec les Etats-Unis à travers l’histoire ? C’est quoi le bonheur pour une famille dans la cinquantaine, avec deux enfants et un grand-père qui vit avec eux ? etc. Cette famille s’appelle Lesperance – elle porte l’espoir dans le patronyme – et par un soir d’hiver froid, ils quittent tous Montréal pour descendre en Floride. Arrivés au soleil, ils doivent vite désenchanter – nous aurions pu l’imaginer. « Leur Floride », La Florida n’est pas tout à fait fleurie comme celle de l’imaginaire, d’où une série d’épreuves, d’aventures et de rencontres inédites, pas évidentes. La vie simplement avec ses secousses et imperfections. Bref, le film fait rire et éveille une certaine envie de savoir plus sur les clichés de l’imaginaire québécois.

Finalement, de ces films, j’ai retenue aussi qu’il y a des rêves et qu’il n’y a pas de mal à les poursuivre. Parfois, on pourrait être surpris de voir qu’ils se réalisent, qu’ils se mettent à vivre sous nos yeux. Avoir des rêves, oser en imaginer, c’est peut-être synonyme d’être heureux ; être en quête, éveillé, l’essentiel de notre être vivant. Non ? 

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