22/05/2011

le visage des livres

J’ai traversé un quartier de Toronto ensoleillé pour la fête de Victoria Day. Par contraste, l’ancienne rue Madison, qui monte de biais vers Casa Loma, semblait plongée dans l’ombre. Je me suis assise sur la terrasse du petit café Ezra Pound, en imaginant que cet endroit vit passer tant d’étudiants ou d’écrivains imaginaires.

L'écrivain Jérôme Garcin, je ne l'ai jamais lu, mais je me souviens de son visage d'une émission récente La Grande Librairie. Il parlait alors de son livre Olivier (Gallimard 2011), écrit à la mémoire de son frère décédé. J’ai dans la main un autre de ses livres, Les livres ont un visage (Mercure de France 2009). Le titre m’a plu, c’est peut-être la raison pour laquelle, je l’ai sorti des étalages de Robarts, curieuse de voir c’est quoi le paradoxe des livres et des visages, des visages qu’on pourrait mettre sur des livres. À la page 46, dans un chapitre intitulé « Face à la mer », je suis assez surprise de découvrir le visage de Le Clézio. Garcin qui parle en ami de Le Clézio lors d'une rencontre de l’été 2008. Le texte commence ainsi :

« Au téléphone, il a proposé de venir me rejoindre en Normandie, ‘pour voir les chevaux’. Ma passion l’intriguait. Depuis le temps que j’en parlais, il voulait les admirer de près, ces monuments de muscles, ces instruments de la liberté, et peut-être même, malgré son peu d’expérience – ‘j’ai peu monté, et surtout dans les déserts, au pas’ – partir en promenade, découvrir mon pays où la forêt sent la mer et où, au petit trot, on s’enfonce dans les paysages du jeune Flaubert, on avance en arrière. Je lui ai répondu que ce serait pour une autre fois (…), que j’était d’abord curieux de le voir chez lui, en Bretagne, où il se cache aux beaux jours. 

Chez lui, c’est une maison toute simple, entourée de pins obliques et de rochers de granit, posée au bord de la falaise contre laquelle la mer se fracasse, bave blanc et s’exaspère dans un grand bruit d’armurerie. L’été cyclothymique touche à sa fin. Avec sa femme, Jémia, Jean-Marie Gustave Le Clézio termine de repeindre la façade en blanc et bleu. La ligne qui sépare les deux couleurs n’est pas vraiment droite ; elle est brisée par quelques vaguelettes involontaires. Jean-Marie confesse en souriant qu’il n'est pas très doué mais refuse de laisser la tâche à un professionnel. Cette maison à l’équerre lui ressemble. Elle n’aime pas le luxe, elle fait entrer le ciel et la mer par deux grandes baies vitrées, elle sent le voyage. D’ailleurs, la peinture fraîche, blanc et bleu, ajoute la Méditerranée au Finistère. Le havre d’un nomade, le gîte d’un doux rêveur. 

À soixante-huit ans, (…) il se rappelle son enfance heureuse dans ce pays âpre dont il aime la lumière, les secrets, la lenteur et les gens. (…) ‘Là (dans le petit port de Sainte-Marine), me raconte-t-il, je m’allongeais dans l’herbe, au milieu des chardons, et je passais me journées à regarder le ciel. Les nuages allaient aussi vite que les mouettes et les fous de Bassan. Le roulement des vagues les accompagnait. J’avais le vertige. Le ciel breton est le plus beau des voyages, ce fut ma première aventure. La nuit, comme j’étais insomniaque, je marchais seul dans la lande, et je sentais autour de moi comme une présence magique, surnaturelle. Le lieu était habité' » (p. 48).

En ville, on ne voit pas le ciel voyager, mais une présence magique, lointaine, se fait sentir les jours feutrés d’été. Le temps d’une brève lecture, je redécouvre la joie des mots, des souvenirs, des lieux.. Je ne sais pas d’où me vient cette curiosité indiscrète et bienveillante de regarder les vacances des écrivains, la mer et le ciel qui s’offrent à leur imaginaire, à leurs regrets, parfois aussi à leurs doutes. 

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