17/05/2011

sur la solitude

« On trouve des gens trop seuls dans la société actuelle », dit Duras dans « La Solitude », texte bref publié dans le numéro de juin 1980 des Cahiers du cinéma. Aujourd’hui en 2011, si elle devait penser la solitude, Marguerite Duras écrirait probablement la même chose, comme si ses mots tenaient d’une position intemporelle de l’homme dans le monde. À lire ces lignes, je suis émerveillée d’imaginer le malaise d'être seul égal à lui-même à travers les années.

Le spectre de la solitude, Duras le décrit avec une certaine acuité : « Il y a des gens invivables que tout le monde fuit parce que justement ils ne sont pas doués de solitude. Des gens qui ne voient pas, qui n’entendent pas, qui meublent leur vie à n’importe quel prix. Des gens épouvantés, isolés de par leur épouvante même à l’idée de la solitude de la vie. Leur épouvante nous épouvante à notre tour. Nous, si on parle de la solitude, on trouve que les gens sont à la fois trop seuls et pas assez seuls. La plupart des gens se marient pour sortir de la solitude. Vivre avec, manger avec, aller au cinéma avec. La solitude est brouillée mais pas défaite. La garantie : le recours à l’autre toujours présent. Le couple des amants est le fait d’un instant. Il ne survit jamais au mariage. (…)
Si j’écris, je manque à quelqu’un. Si j’aime « ailleurs » je manque à l’amour de celui ou de celle qui m’attend. Si je pars je quitte, si je m’éloigne je veux déjà quitter. Les responsabilités clouent au sol. Le bonheur ne va pas. Ne va pas avec la liberté. L’épreuve de la liberté est sans doute la plus dure de toutes mais il s’agit d’un autre et terrible bonheur. Quand on parle des gens seuls, c’est aussi là, dans ces couples qui se disent heureux, stables, qu’on les trouve. Il y a des enfants. Du travail. On y fait l’amour le samedi après-midi. On n’y a plus de désir l’un de l’autre mais une profonde affection. On y rêve chaque nuit d’un nouvel amour. De nouveau désir. On n’y dit rien des rêves. Le rêve devient coupable de trahison. La trahison c’est ce qui reste de plus vrai de l’amour. Ce qui permet d’attendre » (p. 73).

Une Duras qui parle de la vie tout court, du sens de l’existence, des sens que l'existence pourrait avoir ; une voix qui pousse à regarder là où on n’est pas toujours prêt à regarder. C’est je crois d’avoir découvert cette voix nue, que je me retrouve quelque peu renouvelée, et déplacée de ce que je pensais acquis pour une journée.

Toujours sur la solitude, dans le texte bref du dernier numéro d’Égoïste dont je parlais hier, Le Clézio me plaît. Il m’apparaît sincère, humble, quand il commence par : « Je suis né seul, je mourrai seul. Entre ces deux extrêmes qui conditionnent toute vie sur cette terre, je suis libre d’inventer tout moyen pour rompre cette fatalité de la solitude ». Et il n’a pas tort de nous rappeler la nécessité d’inventer, ce besoin de créativité qui peut distinguer et rendre une vie singulière. C'est peut-être ce qui m'a plu dans la lecture du texte où je découvre l'homme Le Clézio, simple et spontané dans son langage oral, et pas autant le romancier tourné vers un langage écrit, un style. 

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