11/11/2011

incidents

Incidents : « mini-texts, plis, haïkus, notations, jeux de sens, tout ce qui tombe, comme une feuille ». C’est la définition que donne Roland Barthes à la mise en écriture de rencontres, de choses vues et entendues, de fragments qui auraient pu faire le tissage continu d’un récit ou d’un roman, mais qu’il préfère garder sous forme discontinue, mobile comme le plaisir du moment. Je le vois bien lorsque je pose la question : « qu’est-ce que ça veut dire ? » dans le quotidien. La réponse qui me revient est incertaine, surprenante, souvent incongrue. Cela tombe de biais sur les codes, c’est « un incident » ; une tranche de vécu dont le sens se prolonge si c'est écrit.

Cette page pourrait être lue à la lumière d’une tentative de mise en écrit des bribes de vécu, avec la conviction que la pratique de l’écriture tisse des phrases justes qui portent les traces d’une existence singulière, d’une ville, d’une époque éparpillée en poussière au jour le jour. Faudrait-il, après cela, ignorer qu’en écrivant ainsi, je pense par exemple à un écrivain qui m’intéresse, dont j’aimerais connaître le quotidien, les goûts et les humeurs ? Roland Barthes n’a pas reculé devant ce type d’écriture du fragment. Je le relis aujourd’hui avec la sensation que « l’écriture du quotidien » est intéressante et paradoxale dans le mélange même d’anodin et d’extraordinaire. Devant ces lignes : « Du train qu’il venait de quitter à une gare déserte (Asilah), je le vis courir sur la route, seul, sous la pluie, serrant la boîte de cigares vide qu’il m’avait demandée ‘pour mettre ses papiers’ », surgit l’impression palpable qu’il y a quelque chose de simple et d’humain qui lie les êtres : des gestes, des départs, des rencontres. Les limites du vécu et de sa mise en écrit se brouillent. Si la vie inspire une écriture, l’inverse est vrai aussi : l’écriture peut livrer des scènes de vie, banales et saisissantes.

Le 11 novembre 2010, j’avais écrit : « Dans l’avion, à côté de moi, une vielle dame française tricote un chandail de petite fille. Plus tard, quand elle s’endort, elle ronfle formidablement ; elle se réveille et continue son tricotage pendant l’atterrissage, absolument statique au milieu des mouvements de l’avion : personnage-statue ». Un an plus tard, cette image m'apparaît encore assez vivante du fait de cet écrit. Du bouquet des souvenirs flottants qui m’envahissent chaque jour, cette scène est « retenue » ; désormais connue par d’autres que moi. 

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