16/11/2011

la vie, le texte

La vie comme texte, cet énoncé devient banal si je n’ajoute pas que c’est un texte à composer, pas à déchiffrer. Déjà le titre de l'anthologie d’Annie Ernaux « écrire la vie », me semble soulever un immense défi : comment une vie particulière, sa vie, pourrait-elle devenir la vie en général ? Comment penser ce transfert ? Par contre, chez Proust, il est évident que les frontières entre la vie et l’œuvre sont poreuses. La vie elle-même est le texte de son œuvre, parce que cette œuvre ne reflète pas simplement la vie ; elle se vit autant qu'elle se lit, de manière intense et bouleversante. S’il y a une doxa littéraire qui fait de la vie d’un écrivain la matière originelle de son œuvre, son renversement est aussi vrai : car l’œuvre peut donner de quoi vivre, peut prolonger une vie. Pensons encore à Proust.

Mais c’est d’autre chose que je voudrais parler ici : de la correspondance de Paul Celan et d’une étudiante autrichienne, Ingeborg Bachmann, échange de lettres commencé en 1948, et qui s’est prolongé pendant presque vingt ans. Le livre vient de paraître chez Seuil. Ce sont des lettres troublantes qui parlent de vie, de poésie et de philosophie ; du temps du coeur. Des lettres qui tentent de tisser une sorte de paroi contre l’horreur de l’histoire ; des mots qui disent aussi le besoin humain de s’adresser à une altérité, de transformer l’autre en idéal porteur. Et toujours à l’horizon l’espoir que les paroles auront le pouvoir de déjouer la fatalité, la détermination, et qu’un éclat d’inédit fera renverser « la cloche de détresse » sous laquelle Paul Celan s'est fait prisonnier.

Le livre fermé, me revient dans la mémoire le suicide du poète. Et là aussi, comment penser que « la pratique » de l’écriture, l’échange de lettres, l’amour qu’il croyait avoir envers un être presque idéal, soient devenus caducs face à la pulsion du vide ? Indicible saut ultime dans la mort (ou dans le « trop plein » de vie, dont parle Daniel Sibony). En filigrane, je crois tenter de poser cette autre question : à quoi peut-on s'accrocher quand les mots s'espacent, se trouent, ne tiennent plus ? 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire